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Vie et mort de Charles Ateba Eyene

Considéré comme l’écrivain le plus prolifique de sa génération, le spécialiste de la communication politique, «l’ami et frère» Charles qui disparaît tel une étoile filante, était devenu bien plus qu’un érudit du parti du flambeau, mais surtout un critique acerbe. Indigné, révolté et choqué par des pratiques licencieuses qui allaient s’aggravant, il a par une volte-face insaisissable, crié son ras-le-bol, demandant de dératiser le Comité central et surtout d’en expurger les démons de l’immobilisme. 

Sur les deux dernières années avant sa mort, aucun risque n’était trop grand pour atténuer les ardeurs de celui qui aimait affectueusement appeler les autres «Tara». Dans bien de coups, il en a usé jusqu’au risque suprême, l’ultime sacrifice de sa vie, pour dénoncer les déviances, les dérives, les avatars d’une société camerounaise fortement gangrénée par les impudeurs, les puanteurs et les abominations les plus indigestes. Bien avant de se revêtir des habits neufs qui lui donnaient les allures d’un écorché vif, moralisateur jusqu’à l’usure de son âme, « Tara », qui avait placé sa vie en holocauste aura fait toute sa vie politique dans le Rdpc. Il avait fini par aimer le parti au pouvoir, plus que Paul Biya le président national. Mais au-delà de l’amour que Charles Ateba Eyené portait sur le Rdpc, même s’il a fait bouger les lignes par moment ; même s’il a si souvent parlé à son président national à travers les médias, c’était sans compter que le Rdpc n’est pas capable de faire sa propre mue. Au sein de ce parti, «Tara», a présenté deux visages : Celui du jeune militant très impressionné par le Renouveau dont il aura donné tout ce qu’il avait de militantisme ; au point d’en devenir un parias auprès des jeunes de sa génération qui se demandaient comment avec toutes les menteries de vrais et les promesses non tenues du régime Biya, l’on pouvait être capable de porter publiquement la parole pour susciter l’espoir au milieu des désespérés. La 2ème face que Charles présentera au soir de sa vie est celle d’un militant déçu, ostracisé, usé, décontenancé et déboussolé dans son engagement politique. Mais au lieu d’abandonner la barque dans la tourmente, il tentera jusqu’à sa perte à vouloir déconstruire un système politiquement corrompu désagrégé. 

Militant du Rdpc engagé et très actif, les états de service rendus au parti par ce jeune dont la production littéraire et la connaissance des textes du parti plaident en sa faveur, sont nombreux. Militant de base Ojrdpc Bikoka-Lolodorf (1990), militant de la Sous-Section Rdpc du Mfoundi 3e (1991) : Charles Areba Eyene fait partie de ceux qui ont pacifié les grèves à l’Université de Yaoundé (1991-1997). Délégué à la presse et à la communication au Bureau national des jeunes du Rdpc (1996-2011), il est membre suppléant désigné du Comité central du Rdpc depuis 2011. Au rang des responsabilités qu’il a assumées, les plus marquantes sont celles de délégué à la Presse au Bureau national des Jeunes du Rdpc (1997-2011) ; Chargé de mission du Comité central Rdpc à Libreville (1999) pour une conférence de la section Rdpc en création au Gabon en compagnie du Pr. Dieudonné Oyono, représentant du président national, Paul Biya comme chargé de mission au congrès du Parti démocratique de Guinée équatoriale à Bata (2001) en compagnie d’Emmanuel Gérard Ondo Ndong. Pendant bien longtemps, l’on avait cru que Charles Ateba Eyene se limiterait à la critique, à la pédagogie et à la moralisation de ses camarades. Il a transpiré sang et sueur, il s’est battu jusqu’à la dernière énergie pour voir être récompensés les vrais militants du Rdpc, qui se sont acquittés promptement de leurs devoirs. Hélas ! Cette bataille qui l’a également perdu a toujours donné à voir comment la préséance était accordée aux militants de la 25ème heure ; ceux-là qui attendent la dernière minute ; juste pour chercher un poste. 

L’érudit en grandeur nature 

Les connaissances approfondies et mêmes historiques que brandissait Charles Ateba Eyene s’agissant du Rdpc, forgeaient de l’admiration. Mêmes les plus virulents de ses détracteurs savaient qu’il était incollable et inattaquable. Dans la foulée, pour consacrer l’admiration qu’il a pour René Emmanuel Sadi, nouvellement nommé au poste de Secrétaire général du comité central, Charles Atéba Eyene publie un nouvel ouvrage intitulé : « Rdpc, la Reprise en main du Parti par le Président national » ? Celui-ci fait suite à une série d’autres ouvrages qu’il a écrits sur le parti. Charles Atéba Eyene est véritablement un historien de son parti. Il pose un certain nombre de problèmes. Pour lui, le tournant est le 3ème congrès extraordinaire du Rdpc qui s’est tenu à Yaoundé, le 21 juillet 2006. Au cours de ce rendez-vous, le président national du Rdpc a fait une critique radicale des pratiques qui règnent dans son parti. Au-delà du diagnostic qu’opère Charles Atéba Eyene, il pense qu’avec la nomination de René Sadi, l’on peut espérer une rupture radicale. 

Il faut rappeler que bien avant, Charles Ateba Eyene avait déjà écrit ; en 2007, précisément un ouvrage intitulé : « Stratégies de corruption, détournement, comme logique du coup d’Etat ». Le Coup d’Etat renvoyait à ceux qu’il appelait ou à ce que son président national appelait d’après ce que nous a appris Atéba Ayene, les «états majors » qui s’étaient constitués au sein du parti. Il pensait que ces états majors n’étaient pas là pour assurer les ambitions de leur parti, mais pour les trahir. Sans mettre les gants, l’écrivain Ateba Eyene, procède à une analyse extrêmement précise des forces à l’intérieur du parti et celles ayant monopolisé à la fois le parti et l’Etat. A force de lire l’abondante production livresque de l’érudit du Rdpc, on ressent être en face de quelqu’un qui a été longuement opprimé et dont le talent n’est toujours pas apprécié à sa juste valeur. Mais malgré la frustration, il ne lâche pas prise. 

L’homme fait preuve d’une certaine liberté de ton. Ateba Eyene sait que la société camerounaise change au fil des temps et qu’il est l’une des voix qui expriment ce changement. Même si son parti est incapable d’opérer une rupture radicale. En plus de son talent scriptural, il parle sans avoir peur de qui que ce soit. Il s’est construit ainsi une image qui force de l’admiration. Pour beaucoup, c’est sa singularité. « Mais comme on le voit, il ne représente pas un courant organisé au sein du parti. Souvenons-nous des modernistes qui étaient un courant organisé. Quand vous n’incarnez pas un courant organisé capable de battre les barons, les « états majors » très structurés comme Ateba Eyene le dit, quel que soit le bon diagnostic que l’on peut faire, on ne peut pas constituer une force de rupture, parce que vous n’êtes pas organisés. Ce n’est pas un individu qui peut opérer une rupture radicale. Mais la société camerounaise a besoin d’une rupture radicale fondamentale » souligne le professeur Sindjoun Pokam. Quelques jours seulement après la publication de la date du congrès ordinaire, Charles Ateba Eyene recommande à son parti d’envisager sa propre mue ou de disparaître. Dans un opus de 42 pages intitulé « Le congrès ordinaire du Rdpc de 2011 et ses enjeux pour la survie ou le déclin du parti», l’auteur qui se présente sous le prisme de « militant authentique du Rdpc », tout en indiquant que le congrès ordinaire tant attendu est le rendez-vous de la dernière chance, étale dans toutes ses laideurs, les désastres, la gabegie, les incohérences, le mensonge-politique et la tragédie du parti de la flamme. 

A en croire Charles Ateba Eyene, le Comité central du Rdpc est truffé de militants opportunistes, en flagrant délit « d’exercice illégal de la politique ». On y retrouve des francs-tireurs mal habiles qui marquent des buts dans leur propre camp, des arrivistes auteurs parfois des concussions impunies, des propriétaires du clinquant mal acquis, des zélés moulés à l’absolutisme du parti unique, des pontes et barons du régime (certains sont écroués dans les prisons) coupables ou poursuivis pour distraction de la fortune publique, détournements des fonds et extraversion des capitaux vers des paradis fiscaux… Ceux qui entendent Charles Ateba Eyene cracher du venin, se rendent à l’évidence qu’il n’y a point d’expression violente ou rude de conséquence, qu’il n’utilise, pour fustiger le flou artistique qui se dégage dans le Bureau politique et le Comité central surtout; tant dans la configuration que dans les modes de recrutement des membres titulaires et suppléants. 

Le sénateur éconduit tel un malpropre 

Lorsque le président de la République, Paul Biya, convoque le corps électoral à la faveur de l’élection des sénateurs du 14 avril 2013, craignant d’être disqualifié ou « sorti » d’une liste à la dernière minute, l’auteur des « paradoxes du pays organisateur » qui commence à piaffer d’impatience, conduit une des six listes déposées à la commission régionale d’investiture. Sa candidature soumet la région du Sud à rude épreuve. L’effronterie, l’impertinence et le zèle de Charles Ateba Eyene s’apparentent à une guerre intergénérationnelle ; entre la génération des jeunes loups aux dents bien longues qui veut occuper les premières places et les caciques du régime qui veulent s’accrocher coûte que vaille aux affaires en occupant les majestueux et prestigieux postes de sénateurs. L’action de Charles, même si elle fait long feu, a le mérite d’étaler les guerres internes, les batailles de leadership et les dissensions qui vont croissant entre les frères et sœurs de la région natale de Paul Biya, le Sud. Son entêtement à conduire une liste dans laquelle se trouvent certains pontes du Renouveau au rang desquels, le député Martin Oyono, Bonivan Assam (le neveu de Paul Biya), Samuel Obam Assam, l’ex- directeur du courrier présidentiel à la retraite Grégoire Mba Mba, le président de la section Rdpc de Kribi, le grandit davantage et augmente sa cote de popularité. 

A l’attention du frère Paul, Charles sollicite un maximum d’objectivité, l’absence de magouille et des trafics d’influence. « Le Sud veut des sénateurs dignes, pas des aventuriers, ni des carriéristes, non plus des hommes d’affaires à la recherche des « asiles » ou des « refuges » où ils vont se planquer et se la couler douce. Le Sud ne veut pas d’un Sénat fourre-tout, à l’image de l’Assemblée nationale, devenue une « chambre de commerce… », affirment les jeunes du Sud qui soutiennent sa démarche. L’engagement de Charles Ateba Eyene à la course aux sénatoriales, est précédé par un capital d’estime considérable dont il est en droit de jouir; grâce à un précédant ouvrage intitulé : «Paradoxes du pays organisateur ». L’auteur à travers ce livre qui a fait assez de bruits, étale la bureaucratie administrative et urbaine du Sud qui s’est enrichie énormément et qui n’a rien fait, y compris pour leur région natale. 

L’espoir et la rénovation brisés 

En dépit de tout ce qu’il aura fait pour tirer la sonnette d’alarme, l’auteur des « Paradoxes du pays organisateur », membre suppléant du Comité central, restera incompris. Même en implorant le Rdpc de se relooker, d’expurger les démons de l’immobilisme, de régler les questions sur la mal gouvernance, l’exclusion, la corruption et la désagrégation du corps social, il n’est pas entendu dans son cri de détresse. Le parti ne réussira pas le pari de se relancer sur une nouvelle forme de militantisme après le congrès ordinaire de 2011. Deux années plus tard, lorsque Paul Biya convoque les élections municipales et législatives pour le 30 septembre 2013, Charles Ateba Eyene remonte au créneau ; comme beaucoup de ses camarades, il avoue que le président national du parti, ouvre les vannes du braquage et du monnayage au Rdpc, en optant pour les investitures, au lieu des primaires tant attendues par la base. Les faits lui donnent raison. Les spécialistes du chantage alimentaire, vont s’enrichir sur le dos du parti, à travers des comptoirs de commerce et divers marchandages. 

Avec la verve qu’on lui connait, Ateba Eyene fustige le fait pour les brocanteurs politiques du Rdpc, de mettre de côté la circulaire signée le 05 juillet 2013, par le président national portant sur ce qu’on peut considérer comme le mode opérateur des investitures des candidats du Rdpc aux élections législatives et municipales. A le croire, les commissions déployées sur le terrain des investitures sont des enclaves où s’opèrent toutes sortes de monnayages et des magouilles diverses. Ateba Eyene appelle le président national, à freiner les ardeurs et les appétits de ses camarades, pour la majorité des « brocanteurs » politiques, dont la propension est d’user des passe-droit pour profiter au maximum des privilèges qu’offrent les investitures. Une fois encore, il est incompris. Il reste également incompris dans son souhait de voir le Président national, agir pour neutraliser tous ceux qui veulent confisquer les affaires du parti ou se cacher à l’Assemblée ou dans les Communes. 

La révolte d’Ateba Eyene contre les abominations du Renouveau 

Après un précédent ouvrage à scandales, intitulé « Le Cameroun sous la dictature des loges, des sectes, du magico-anal et des réseaux mafieux » ; livre qui a brisé les tabous de la discrétion et suscité un vaste remue-ménage, l’aiguilleur et châtieur des consciences, enfonce le clou de la protestation et de la dénonciation de la morale et la décrépitude sociale. Dans un livre de 228 pages intitulé « Crimes rituels, sectes, pouvoirs, drogues et alcools au Cameroun », sous-titré « Les réponses citoyennes et les armes du combat », Charles Ateba Eyene présente dans toutes ses laideurs, les désastres et la tragédie d’une société happée par la spirale de plusieurs travers. Suite logique de son précédant ouvrage, le contenu de celui-ci s’offre, plus détaillé sur les drames, les méfaits, les comportements tragiques, les abominations et les immoralités qui pourrissent la société. Avec détermination et beaucoup de rigueur, l’auteur condamne : l’absence d’éthique, le laissez-faire, le mutisme suspect des pouvoirs publics qui laissent les auteurs des crimes rituels, verser dans la maltraitance en se jouant de la vie humaine. Charles Ateba Eyene publie des illustrations assez fortes, choquantes et insupportables pour des âmes sensibles. Tout y passe : des coupures de journaux, des photographies de gourous sulfureux actifs en Afrique, les sectes, les sociétés sécrètes et les cercles magico-sataniques… La peinture qui est faite des crimes rituels, des statistiques en termes de la consommation des alcools et les drogues, provoque l’amertume, l’indignation et la révolte. 

La «grande gueule» fermée 

Dans les studios, sur les plateaux de télévision ou des radios, « Tara » extériorisait la maîtrise de l’art oratoire. Il devenait difficile de le zapper, sans provoquer la grogne des téléspectateurs ou celle des auditeurs. Durant toute sa vie, ce qui a fait plus débat, sur la démarche de Charles Ateba Eyene, c’est le caractère insaisissable de l’homme. Pour une certaine opinion, « Tara » faisait une production livresque d’opportunité, d’activisme et de positionnement politique. S’il est difficile d’exclure qu’à un moment, il a voulu absolument se positionner par rapport au fait qu’il est un véritable militant qui croit aux idéaux de son parti (il est souvent normal que les militants soient récompensés pour leur militantisme), il reste que le chemin escarpé d’Ateba Eyene suggère de nombreux enseignements. « La responsabilité de protéger les vies et les biens des citoyens camerounais ; les questions de sécurité et de préservation de la paix sociale incombent avant tout au président de la République Paul Biya. Il doit prendre des mesures coercitives rigoureuses et fermes. Au besoin il faut faire voter et promulguer une loi spéciale qui condamne les crimes rituels dans ce pays. Les auteurs doivent être punis avec un maximum de rigueur. Le dilettantisme qui a cour en ce moment, fait perdre énormément de temps. Les enquêtes piétinent, et à la fin, on ne voit pas prospérer les résultats de celles-ci. Il y a tout autour, des complicités qui créent la panique et la frayeur dans la mémoire collective ; le peuple ne se sent pas protégé. On ne peut pas créer un tribunal spécial pour défendre l’argent, alors que l’urgence consiste davantage à la sécurisation des vies humaines plutôt qu’aux biens matériels » martèle-t-il de sa voix de stentor. Une voix qu’on écoutera plus malheureusement. Le « baobab » a quitté définitivement la scène. Ses écrits ont le mérite de constituer une mémoire historique à consigner dans les archives du Rdpc et celles de la nation toute entière. Sa disparition de la scène politique et du grand théâtre de la vie, est une immense perte. Mort, où est donc ta victoire… 

Souley ONOHIOLO / Le  Messager

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