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Shelly-Ann Fraser-Pryce : l’autre visage de la Jamaïque

À 27 ANS, CE PETIT BOUT DE FEMME D’1,52 M RÈGNE SUR LE MONDE DU SPRINT FÉMININ. SHELLY-ANN FRASER-PRYCE, LA GAMINE DU GHETTO, EST DEVENUE LA REINE DE LA PISTE. ELLE A RÉUSSI À CHANGER SON DESTIN ET RÊVE MAINTENANT DE CHANGER CELUI DES JEUNES DÉFAVORISÉS DE SON PAYS.
Il y a des quartiers qu’on évoque uniquement pour de sombres raisons. Waterhouse fait partie de ceux-là. Dans ce ghetto où les amas de tôle font office de maisons, c’est toujours la même chanson, sans good vibes.
Des histoires de came, de guns qui claquent, de vies qui s’envolent. C’est là, à une cinquantaine de kilomètres de Kingston, qu’a grandi Shelly-Ann Fraser. Le père n’est plus dans les parages, la mère, Maxine, se démène comme vendeuse de rue pour remplir le frigo.
Pendant un temps, elle est obligée de placer ses trois enfants dans une autre famille. Shelly-Ann a alors 14 ans. « La pire époque de ma vie », avouera-t-elle au Telegraph, en 2009.
Maxine, son héroïne
Dans ce décor à la Ken Loach sauce rasta, l’adolescente est toujours restée dans le bon couloir. Maxine lui interdisait de répondre aux membres des gangs qui l’interpellaient sur le chemin. S’ils revenaient à la charge, Maxine allait directement leur dire deux mots.
Elle, l’ancienne sprinteuse qui avait dû ranger les pointes au placard lorsqu’elle est tombée enceinte d’Omar, son premier fils. Elle, l’héroïne de Shelly-Ann encore aujourd’hui.
« C’est grâce à elle si je cours. Elle m’a toujours énormément encouragée. Avec ma mère et mes deux frères, nous partagions le même lit. Je pense que cela m’a enseigné l’humilité et surtout la volonté de travailler dur pour arriver à quelque chose. Pour récompenser un jour ma mère de tout ce qu’elle a fait pour moi. »
L’explosion de Pocket Rocket
Pas née sous une bonne étoile, la môme espiègle (ceux qui l’ont connue à cette époque évoquent une version féminine de « Denis la malice ») a tout de même quelque chose qui peut l’aider à sortir de ce marasme. Ses jambes sont petites, certes, mais elles moulinent à une cadence d’enfer.
À 10 ans, Shelly-Ann termine deuxième d’une course scolaire sur 100 mètres, pieds nus. Elle passe à la vitesse supérieure en entrant à la Wolmer’s high school for girls, où elle est aiguillée par le coach Michael Carr. « C’est le point de départ de tout ça. C’est là où je suis devenue celle que je suis aujourd’hui. »
Malgré un départ canon et un gros potentiel, Shelly-Ann Fraser ne fait pas du tout partie des favorites lors des séléctions jamaïcaines, à quelques mois des Jeux de Pékin. À 21 ans, « Pocket rocket » n’a qu’une médaille de bronze aux Carifta games (une compétition caribéenne de jeunes) et une médaille d’argent mondiale du 4×100 m par procuration (en 2007 à Osaka, elle n’avait été alignée qu’en séries) à mettre sur le tapis.
Elle parvient pourtant à décrocher sa sélection pour les JO sur 100 m, à l’inverse de Veronica Campbell-Brown. En Chine, elle surclasse toutes ses concurrentes (10″78) et s’offre le sacre olympique, avec deux dixièmes d’avance sur ses compatriotes Sherone Simpson et Kerron Stewart. Même barré par un appareil dentaire, le sourire de Shelly-Ann est radieux. Elle vient de s’élancer sur un long chemin pavé d’or .

« J’ai l’attention que je mérite »
Après son triplé aux Mondiaux 2013 (100 m, 200 m et relais 4×100 m), Fraser a été élue athlète féminine de l’année pour la première fois. Le même soir, Usain Bolt recevait son cinquième trophée.
Fêtard flamboyant, bête de com’, recordman du monde et showman averti, celui-ci accapare presque toute la lumière sur la scène internationale. De quoi contrarier Fraser-Pryce ? Même pas. « Ce qu’il fait est merveilleux. Il mérite tout ce qui lui arrive. Je ne me dis jamais que je vis dans son ombre. Non, je pense que j’ai l’attention que je mérite, ça va. »
Il faut dire qu’au pays, son aura est aussi grande que celle de Bolt l’éclair, de Yohan Blake ou d’Asafa Powell. Lorsqu’elle se pointe au National stadium pour assister aux Boys and girls athletics championship, une importante compétition de jeunes suivie par toute l’île, elle peine à suivre une course, assaillie par les fans.

Briser le « cycle infernal »
Sa popularité dans les Caraïbes, Shelly-Ann Fraser-Pryce (le patronyme Pryce est celui de Jason, son mari depuis 2011) la doit évidemment à ses performances de haut vol. Mais c’est aussi son implication dans le domaine social qui a fait grimper sa cote d’amour. Avec sa fondation, nommée Pocket Rocket, elle vient en aide aux enfants défavorisés, en leur offrant de bonnes conditions de scolarité.
« La pire chose que j’ai vue à Waterhouse, c’était ces filles de mon âge que leurs mères poussaient à coucher avec des hommes plus âgés pour de l’argent. Elles n’avaient pas d’éducation, elles tombaient enceintes et restaient coincées dans la même situation que leurs parents. C’est juste un cycle infernal. »
Diplômée en sciences du développement des enfants et des adolescents à l’University of technology, Fraser-Pryce ne se contente pas de jouer les têtes de gondole et de signer des chèques. Sur ce terrain autrement plus tortueux qu’une piste en tartan, elle s’engage à fond. Comme une évidence.

Dossier réalisé par Jimmy Boursicot Photos : Roland Macri – Charly Gallo/Centre de presse Realis/Stéphane Danna – Jimmy Boursico

 

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