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Petit Pays : on n’a rien gagné

« Gagné gagné » vous l’avez compris est le titre que cet auteur a trouvé à sa musique. Et comme c’est devenu une coutume chez lui, toutes ses sorties sont colorées de victoire et d’applaudissements de la part de ses fans qui sont de plus nombreux. La capture d’esprit a marché, elle a si bien marché que cet artiste a juste besoin de mettre sur le marché du disque une musique dans laquelle il tousse et rigole pendant 7 bonnes minutes, pour ramener avec lui des milliers de personnes fascinées et jamais fatiguées de la chanter et danser. On a eu tendance à dire que la musique est le reflet de la société et l’artiste en est son interprète. C’est ce qui peut expliquer le fait qu’à une bonne période de notre histoire, cet artiste a eu à connaitre un succès avec son titre « ça ne va pas », et ceci était péremptoire, car chacun dans son silence était conscient de l’inanité de la situation au Cameroun. Par la suite, comme l’artiste ne doit pas seulement dire que tout va mal, et qu’il doit de ce fait se poser en prophète et promettre un avenir meilleur, cet artiste a changé de cap de camp de discours et de registre et a encore frappé d’un coup fort l’univers artistique avec le titre « ça va aller ». Voilà que, quelques années après, où on projette l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035, ère où ça va plutôt commencer à aller pour les camerounais, il revient avec un titre qui a défrayé pour la énième fois la chronique : « gagné gagné ».

Le malheur avec ce titre, cette musique, c’est qu’elle a vu le jour à la veille de la CAN 2012 co-organisée par le Gabon et la Guinée Equatoriale. Compétition que le Cameroun manque d’organiser depuis des décennies, et au cours de laquelle il n’a pas pu participer. C’est dire qu’au départ on a eu à penser que cette musique était faite pour accompagner les lions à cette compétition, pour les encourager à remporter le trophée qu’ils ont abandonné depuis 10 ans. Mais une chose est sûre l’auteur était conscient de l’échec des lions aux éliminatoires pour cette CAN, car il sait lui-même que celui qui combat peut gagner, mais celui qui ne va pas en compétition a déjà perdu. « Gagné gagné alors perds tout son sens ». Le classement FIFA est là pour nous prouver à chaque fois que nous nous mentons d’être les meilleurs, que nous n’avons rien gagné. Voici les JO, on a tout perdu, et nos sportifs rentrent, non pas avec les médailles d’or ou d’argent comme en 2000, mais avec des buts encaissés et des évasions clandestines. On a perdu nos footballeurs les plus talentueux et les plus patriotiques, soit parce qu’on les a mal utilisé, soit parce qu’on n’a pas utilisé du tout.

Cette chanson a aussi vu le jour après les élections présidentielles au Cameroun d’octobre 2011, remporté une fois de plus par le parti au pouvoir, victoire inévitable, non seulement à cause de la position stratégique de ce dernier, mais aussi à cause de l’amateurisme dans tous les sens du terme d’une opposition toujours en hors position. Nous pouvons aussi penser que l’auteur de cette chanson pour ses relations trop intimes avec les barons du régime, aurait composé une musique pour les aider à célébrer cette victoire. C’est la victoire d’un groupe, d’un clan, je n’irais pas jusqu’à dire comme d’autres que c’est aussi celle d’un « axe », mais c’est un échec pour le Cameroun. Parce que qui dit émergence dit créativité, et on ne peut pas perpétuer les mêmes personnes avec les mêmes recettes et espérer par une baguette magique arriver au développement. La circulation des élites dont parlait Pareto, a tout son sens pour faire naitre la dynamique, et par-dessus tout propulser le changement et des mentalités et de la société toute entière.

Même la paix dont on se vante, comme si on l’avait si bien méritée, est une paix soupçonneuse. Car on ne peut pas parler de paix devant tous ces enfants qui dorment dans les rues de nos capitales, on ne peut pas parler de paix devant un retraité qui n’a pas sa pension, un fonctionnaire sans salaire, un étudiant à qui on ferme les portes des diplômes…on a échoué l’acquisition, la voie de la construction d’une paix permanente au Cameroun. Dans une société où on meurt de faim et de soif, où les emplois sont rares comme les personnes de bonne moralité, où la corruption suit son bonhomme de chemin en s’intensifiant. On a échoué la construction du joli « bouquet national », ce rêve du chef de l’Etat, théorisé dans Pour le libéralisme communautaire. On ne peut parler que d’un échec historique, dans une société où on pense que pour réussir à tel concours il faut être ressortissant de telle ou telle tribut, où pour être employé dans telle société il faut être fils de tel village. C’est l’échec quand on passe le temps à ne réfléchir que sous la base des béquilles ethniques. Où pour répondre à « l’ethno-fascisme » on y oppose « le mono-fascisme », ce que Sartre avait raison d’appeler un « racisme anti raciste ».

On a perdu nos valeurs, nos idéaux qui faisaient de nous de vrais camerounais. Les jeunes ont échoué la mise sur pied des initiatives qui feront d’eux le fer de lance de  la nation. Les jeunes ont échoués dans les missions qui leur ont été assignés. Les seules choses qu’ils gagnent c’est les capsules des bières. L’Etat a aussi échoué dans son rôle de créateur d’emplois, dans son rôle de socialisation et de politisation positive, dans son rôle régalien, les embouteillages et les coupures de routes dans nos villes et villages viennent attester cette affirmation. L’Etat a aussi échoué l’intégration socio politique des jeunes au Cameroun. Pourquoi les jeunes ne croient plus en l’éducation en la politique et au fait qu’on peut s’en sortir sur place ?, c’est que l’Etat n’a pas réussi à les conduire sur la bonne voie et  mettre les dispositifs sur place pour leur faire croire le contraire.

Dans le vidéogramme de cette musique tristement célèbre, on voit des clowns et des figurines balancer à gauche et à droite les différents drapeaux des pays africains, comme si cette musique était destinée à toute l’Afrique. Même si c’est le cas, vous convenez avec moi que tant sur le plan sous régional que régional, c’est l’échec total. L’Afrique n’a pas seulement échouée sa course vers l’entrée du monde du XXIe, les africains l’ont aussi perdu. L’Afrique a perdu, Kadhafi, tout ce que le continent avait de plus beau en ce qui concerne l’union africaine, comme ça été le cas avec Sékou Touré, Nkrumah, et Sankara, l’Afrique a perdu Gbgagbo, elle a perdu le Soudan, le Mali, le Togo, et de ce fait, elle a perdue des buts à zéro, l’Union Africaine, qui s’altère de coups d’Etats en coups d’Etat…l’Afrique a  encore connu un échec dans la séparation avec l’Occident. La fascination devant la « chose du blanc », et les préjugés devant les « chinoiseries » continuent à alimenter cet échec.

Que ce soit dans un domaine ou dans un autre, sur le plan national que continental, tant chez les jeunes, que chez les dirigeants de nos nations, il est à remarquer qu’ « on n’a rien gagné ». Mais les jeunes continuent à danser et à réciter béatement cette musique qui est plutôt «  l’hymne de leur échec ». Une jeunesse qui réussit à passer ses examens officiels avec 5, 6.5, 8.5 de moyenne a d’ores et déjà échouée à l’épreuve de l’histoire. C’est curieux de voir comment est-ce que des gens qui ont échoué chanter avec joie « on a gagné, on a gagné, on a gagné ho ho ». J’aimerais me réjouir enfin de savoir ce qui peut en cette année 2012, année d’émergence de cette musique, justifier le fait de la chanter à longueur de journée. On n’exécute pas les chants de victoire sans les trophées en main. Au banquet de l’émergence, on dîne à chaque bal, avec la coupe de la corruption en main. Là nous sommes les champions du monde, mais au lieu de nous en réjouir, nous devons pleurer et grincer les dents.

Le classement des 100 meilleures universités d’Afrique ne nous reconnait pas depuis des décennies, notre pays n’a pas de société pour les droits des artistes et les salles de cinéma sont inexistantes, là encore nous avons perdu. Si bien qu’un palais destiné aux sports, semble ne vivre que par les concerts de musiques. Nous avons échoué et n’ayons pas peur ni honte de la dire, il faut affronter l’échec c’est le seul moyen de le combattre. Et en le faisant, nous allons aussi nous poser des questions pour savoir ce qui ne vas pas et comment faire pour que ça aille, comment y remédier. Je pense donc que si les jeunes s’y attellent, le vœu de 2035 passera inévitablement du rêve à la réalité. Et en paix, en joie et en chœur on pourra chanter jusqu’à épuisement « on a gagné, on a gagné, on a gagné ho ho », si cette musique n’est plus à la mode, les jeunes soucieux de leur patrimoine historico-culturel, le remettra au-devant de la scène.

By TATLA MBETBO Félix, dans le capitale, Aout 2012

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