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D.O.E : Death Of Ego-tripe

Jay Z lui avait donné pour nom : D.O.A, Death Of Auto-thune. Il annonçait donc par-là, la mort de ce maquillage de la voix en studio. Et dire comme Youssoupha : « viens on arrête l’auto-thune, viens on chante vraiment », ou comme Rohff à l’époque « je rappe sans effets spéciaux «  ou encore comme D.O.S Legar « entre moi et l’auto-thune la poussée d’Archimède agis »…

Laissez-moi dès lors vous présenter, le projet que je porte et que je veux représenter. Beaucoup l’ont fait dans des débats et dans leurs chansons, mais moi j’aimerais comme Shawn Carter, le théoriser. Death Of Egotripes. C’est ça mon projet. À mon tour je voudrais annoncer ici : la mort de l’égotripe. D’abord qu’est ce qu’on entend par égotripes ? : C’est un style d’écriture héritée de la poésie moderne appelée le lyrisme. Qui selon plusieurs sources : « est souvent définie comme le genre littéraire qui accueillel’expression personnelle des sentiments du poète. L’auteur lyrique parle en effet en son nom propre; il dit “je” ». Egotripes, viendrait donc de la composition de deux mots à savoir : égo qui signifie le sujet pensant, ou alors le « moi » ; et de tripe qui est un terme familier, désignant le plus profond de la personne, en terme affectifs, donc de sentiments. L’égo-tripe, serait donc ce que le sujet ressent aux tréfonds de lui, et l’exprime, en termes de sentiments propres ou subjectifs.

Dans le monde du rap à présent, on constate un rapide virement du prénom inter-personnel « nous », au prénom  intra-personnel « je ». Le fameux « lorsque je parle de moi, je parle de vous » de Victor Hugo n’est plus d’actualité. Quand un rappeur parle de lui, il ne parle que de lui, en opposition aux autres. L’autre ne se reconnait plus dans l’expression de ces sentiments de l’un. Ce retour subjectif du rappeur sur lui, occulte ici la divine mission du rap dans son contexte actuel.

Le rap est né dans un contexte de revendication, et c’est par le même registre qu’il a survécu. Mais aujourd’hui on constate qu’il est en train de mourir pour la simple raison qu’il s’y détourne. Si les rappeurs français ou américains se livrent dans cette nouvelle tendance égo-tripienne, c’est juste parce que les conditions socio-économiques dans lesquelles ils sont leur imposent ça. Beaucoup avouent que c’est parce qu’ils l’ont fait de par le passé, ils n’ont donc pas compris la leçon de Youssoupha selon laquelle « nos speechs ne seront entendus qu’à force de le dire ». Même si l’histoire se répète, et qu’on a l’impression de dire les mêmes choses de les ressasser toujours, d’utiliser les mêmes mots. Même si à un moment on a l’impression que nos revendications ne portent pas leurs fruits, qu’on ne nous écoute pas, ce n’est pas un prétexte pour se taire.

Moi, ici, je voudrais que ce projet se réalise en Afrique, et surtout dans le hip hop au Cameroun. Que l’Ego-tripe meure, sinon c’est le rap lui-même qui doit mourir. Nous vivons dans un contexte qui ne nous permet pas de continuer à parler de soi, comme si tous les problèmes étaient déjà résolus et tous les thèmes déjà traités. Comme l’a dit Ayriq Akam, à quoi ça sert de parler de soi quand la vie des frères se résume à toutes sortes de dérives. L’heure est à la dénonciation, à la revendication. Ne point s’y atteler serait démissionner face à sa mission de rappeur. Arrêtons de nous cacher derrière, la technique, le freestyle et autres… on peut être engagé tout en gardant sa beauté d’écriture. D’où le vieux problème de la dialectique du fond et de la forme. Boileau disait déjà que, celui qui sait allier le fond à la forme, aura tous les suffrages. Mais aujourd’hui ce qu’on constate, c’est des textes avec des fonds vides de sens et de puissance et avides de formes qui ne cessent de se déformer.

Les autres ailleurs peuvent prétexter qu’ils le font pour vendre. Mais quelle est la raison pour laquelle nous au Mboa on se livre les pieds ouverts à l’égo-tripe. Est-ce qu’il existe un marché de disques au Cameroun pour qu’on dise que c’est pour vendre ?. le rap commercial n’a aucune valeur au Cameroun. Et l’histoire est là pour nous témoigner le fait que les artistes qui ont eu le buzz au Mboa n’étaient pas des artistes de l’égo-tripe à 98%. Alors si l’égo-tripe ne sert pas à vendre au Cameroun, à quoi sert ’il alors ? À la démonstration de sa puissance, de son énergie, de sa plume, et de sa technique artistique ? Arrêtons de nous méprendre. Si a ne sert donc à rien, faisons alors quand même de notre musique en art qui sert à quelque chose. Quelle différence existe-t-il donc entre le rap tel qu’on le pratique maintenant et ces musiques folkloriques ? Aucune. Il ne faut plus qu’on donne l’opportunité aux anciens de nous dire que « le rap était mieux avant », ou aux autres de nous confondre avec ces « musiques de Sodome et Gomorrhe ».

Il faut que le rap serve à quelque chose. Et non à servir à ne servir à rien. Et comme l’a dit Kéry James au Prim’s Parolier : « à quoi sert notre musique si ce n’est à défendre des causes ». C’est une question rhétorique, c’est-à-dire la réponse est indicible, elle ne se dit pas, ne se cherche pas, elle vient d’elle-même. Le rappeur camerounais ne doit pas me dire que ce sont les thèmes qui manquent ?, Jules Domché demandait alors à Valsero comment il fait pour avoir autant d’inspiration, il a répondu tout simplement qu’ « il suffit de vivre au Cameroun ».

La new-school au Mboa est en train de se perdre. Elle emprunte un chemin qu’ elle-même ignore où sa mène, mais elle y chemine avec toute la certitude et la détermination. Avec le temps ils me rappellent que R.A.P signifie Rigoler Avec la Plume. Ils ont perdu le nord, alors moi aussi je prône, sans risque de me faire traiter d’illuminé, le Retour Aux Pyramides pour nos jeunes rappeurs qui n’ont encore rien compris à l’art qu’ils exercent. On ne demande pas de ne pas parler de soi, mais que le « sujet » ne devienne pas totalement le vif du sujet. Comme l’a si bien dit le Rat Luciano de Fonky Family dans marginal music : « le rap c’est mon moyen d’écrire mon histoire et celle de ma ville ».

Il faut donc en art comme partout ailleurs, commencer par soi, mais ne point terminer par soi-même. Se prendre pour point de départ et non pour point d’arrivée. Et même s’il arrive qu’on parle de soi ce n’est que dans la mesure où l’autre puisse se reconnaitre en nous. L’art est essentiellement ouverture vers l’autre et non, retour sur soi. Voilà à quoi les rappeurs au Cameroun devraient s’atteler. L’égo-tripe ne s’est présenté à nos yeux jusqu’à nos jours que comme une voie de facilité, une fuite. Les fins visées par l’égo-tripe sont biaisées dès leurs mises à jour parce que comme l’a dit le poète : « tout ce qu’on dit de soi est toujours poésie », peu sont les rappeurs qui dans ce cas, sont souvent en clash avec eux-mêmes, peu sont ceux qui parlent d’eux en mal. C’est toujours eux les meilleurs, les plus forts, les plus techniques, les lyrilistes agrées, les distributeurs automatiques de punchlines…ils ne parlent d’eux qu’en termes enjôleurs. Ils revêtent des vêtements qui ne leur appartiennent pas, à force de vivre dans leur délire et leur éphorie du narcissisme de la personne, ils oublient carrément le sens  des réalités.

D.O.E, Death Of Ego-tripe. L’égo-tripe doit mourir dans le contexte rapologique actuel au Cameroun, sinon c’est le rap tout entier qui va suivre cette voie macabre et moribonde. Mon projet sera long et difficile à réaliser, je le sais, car il est difficile aux aliénés de la culture de l’autre, d’abandonner aussi vite les idées reçues de cette culture pour adopter les nouvelles. Mais avec ou sans vous je vais le mener. Le rap aujourd’hui n’a pas besoin de ça.    

" A quoi sert le rap si ce n’est à défendre les causes" Kery James

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