A la uneArtsCamerounInterview

Etoundi Essamba : « la Femme Africaine est véritablement le pilier de la société… »

Nul plus que cette jeune femme ne transcrit sur image autant d’émotions de par les portraits noirs et blancs et couleurs des femmes du continent dont elle est irrémédiablement issue. Quoique détachée en terme de territoire. Talent salué depuis son exposition initiale à la Maison Descartes en 1985 à Amsterdam où elle réside, elfe gracile elle nous a avec beaucoup de simplicité accordé entrevue en cette veille de Journée de la Femme Africaine. Humanitairement engagée par le biais de Essamba Home association de bienfaisance artistique et autant africaine que les femmes vivant sur le continent, elle porte comme elles individuellement le flambeau de l’Afrique.  

Brillante photographe vous faîtes, Angèle Etoundi Essamba, partie des héritiers spirituels de Georges Goethe. L’homme qui au début du siècle dernier a introduit la Photographie au Cameroun. Mais l’on vous y connaît peu en dehors du Monde de la Culture. Femme d’influence en dépit de cela, quel est votre cursus humain et professionnel?

Merci pour cette belle introduction. J’ai quitté le Cameroun à l’âge de 10 ans précisément, pour la France. C’est après mon baccalauréat, que je suis partie m’installer en 1982 à Amsterdam aux Pays-Bas. C’est à la Nederlandse Fotovakschool ( École professionnelle néerlandaise de la photographie ) que j’ai été formée. Mon parcours artistique débute avec ma première exposition à la Maison Descartes à Amsterdam en 1985. Depuis beaucoup d’autres ont suivi notamment en Afrique : Cameroun, Afrique du Sud, Mali, Sénégal, Tanzanie : en Europe : Espagne, Italie, France, Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Ecosse, Hollande, Danemark, Suède ; aux États-Unis : New York, Philadelphie, Floride, Californie; en Amérique latine : Colombie et Brésil; à Cuba et au Mexique et enfin plus récemment en Asie avec la toute première exposition en Chine.

Mon travail a également fait l’objet de quelques publications parmi lesquelles Passion,1989; Contrastes,1995; Symboles,1999 ; Noirs, 2001 ; La métamorphose du sublime,2003;Dialogues,2006 Desvelos, 2008;Voiles et Dévoilements, 2009;

Artiste plurielle, vous êtes également poète et intervenez dans divers domaines : Danse, Théâtre et autres. La photographie demeure cependant l’Art majeur que vous pratiquez. Pourquoi la photographie et quelle en est votre définition personnelle?

Alors la danse, le théatre, la mode et tout le reste remonte à ma période folle. J’avais 20 ans, je débarquais à Amsterdam et je voulais goûter à tout dans ce pays où tout était possible et où toutes les portes m’étaient ouvertent. Je regorgeais d’énergie, d’inspiration et il fallait que tout cela  se matérialise. Évidemment, j’ai fini par faire un choix et à opter pour ma vraie passion qui est la photographie et depuis je me suis  me suis assagie. Alors pourquoi la photographie ? Parce que l’image m’a toujours fascinée.

Et bien c’est purement et simplement la passion pour l’image à la fois simple et très complexe. On dit qu’une image vaut mille mots. “A picture is worth a thousand words “ Et bien c’est exactement cela, la force de ce medium qui permet à la fois dans une seule image de s’étonner, de s’émerveiller, de questionner, de se révolter , de s’indigner etc… Tout peut être dit dans une image. C’est un médium d’une puissance inégalable,

qui dépasse aussi les barrières linguistiques. On peut-être analphabète et pourtant comprendre et s’émouvoir devant une photo. Voilà, c’est cette force du medium qui me fascine et que j’adore. Mais d’une manière générale, je  trouve que la création ne doit pas se limiter à une seule discipline. J’utilise parfois d’autres médiums que la photographie, simplement parce que le besoin de dire les choses autrement s’impose. La vidéo par exemple est quelquefois présente dans mes expositions, pourtant elle ne remplacera jamais la photographie, elle est là , à titre complémentaire parce qu’elle apporte de nouveaux éléments qui enrichissent l’exposition.

Idem pour la poésie , je m’abandonne à mes pulsions,et laisse mon Coeur parler, alors les mots viennent tout seuls .

Il faut savoir être pluridisciplinaire.

L’axe central de votre oeuvre exposée à travers le Monde est la Femme Africaine. Biennale de la Havane, Biennale de Venise en 1994, première biennale d’Afrique du Sud après l’abolition de l’Apartheid en 1995, Rencontres photographiques de Bamako, Festival des 3 Continents en 1996 et Miami Art. Laquelle vous sublimez une fois de plus lors de votre dernière exposition " Voiles et Dévoilements ". Le 31 juillet prochain sera célébrée la Journée de la Femme Africaine. Modèle de cette Femme Africaine, pourquoi selon vous cette journée en parallèle de celle Internationale du 8 mars ? 

Le 8 mars focalise sur la femme à l’échelle mondiale. On pourrait dire que c’est la célébration de la femme de tous les continents, alors que le 31 juillet est vraiment la journée qui commémore la femme africaine. Malheureusement cette journée reste assez méconnue contrairement à la journée internationale de la femme célébrée avec frasques et honneurs. Il faudrait sensibiliser le public, tout âge et toutes classes confondus sur l’importance de cette journée célébrée pour la première fois le 31 juillet 1962 à Dar Es-Salaam en Tanzanie.

Le continent n’aurait-il pas dû songer à une semaine ou même un mois de la Femme Africaine compte tenu du rôle prépondérant qui est le sien dans la société africaine aussi bien familial, économique , politique que professionnel ? 

On ne le dira jamais assez, la Femme Africaine est véritablement le pilier de la société et si elle constitue l’élément central autour duquel s’articule en grande partie ma démarche artistique, c’est parce qu’elle est la matrice du monde ( Mother Earth ), la gardienne de notre identité, c’est elle qui transmet les valeurs culturelles et les connaissances traditionelles, c’est elle qui sert de pont entre la tradition et la modernité. Elle est pour moi une source d’inspiration intarissable. Mon travail est donc une célébration (au sens le plus large), de la femme africaine : sa force, sa vitalité, sa dignité, sa grâce, sa sensualité. la Journée de la Femme Africaine devrait se célébrer avec plus d’engouement et d’honneurs au même titre que la journée internationale de la femme qui est devenue une fête populaire connue mondialement et attendue par tous. Lui rendre cet hommage, serait lui donner la part qui lui revient tout naturellement.

La situation de la Femme africaine sans être alarmante est néanmoins saisissante sur certains points. En vertu de vos analyses, quels sont-ils et lequel estimez-vous le plus rédhibitoire?

L’accès à l’éducation et à la santé restent pour moi les points essentiels auxquels chaque femme africaine devrait avoir accès. C’est la clé à la véritable liberté, à l’épanouissement et au développement durable. Une femme en bonne santé et munie d’une bonne education peut tout signifier pour sa famille, sa communauté et son pays. Elle peut soulever des montagnes. À notre époque, c’est vraiment scandaleux de constater que bon nombre de nos sociétés africaines considèrent ces droits élémentaires comme secondaires voir superflus.

L’essentiel de votre travail consiste en la dualité Noir/ Blanc. " Voiles et Dévoilements " présenté au Cameroun entre autres y a pour la première fois introduit la Couleur. S’agit-il d’un cheminement nouveau et réfléchi ou inné à l’inverse ?

Après avoir longtemps travaillé en noir et blanc très dense, je me suis tournée ces 4 dernières années vers des couleurs saturées et vives. J’ai toujours eu un lien très profond et intime avec le noir et blanc, que je maîtrise bien puisque cela fait plus de vingt cinq ans  que je le travaille. Je trouve qu’on est plus impliquée  face à une image en noir et blanc, parce qu’elle laisse libre champs  a` l’ imagination et à la fantaisie alors qu’avec la couleur, tout est figé : le rouge est rouge, le vert est vert et le bleu est bleu.

Et puis le noir et blanc est plus dramatique, il a une force et une profondeur qui se perd totalement dans la couleur. Mais j’ai réellement découvert la couleur avec “Voiles et Dévoilements” ce sont  les couleurs qui sont venues vers moi et je me suis littéralement laissé imprégner et ennivrer par elles, je me les suis approprié. D’ailleurs tant d’exaltation ne pouvait se raconter qu’en couleurs. Ces couleurs symbolisent la vie , la vitalité qui encore une fois rompt avec l’image terne et  triste  à  laquelle le voile est si souvent associé.

Que pensez-vous des ambitions de la Société civile des Arts audiovisuels et photographiques SCCAP ainsi que de celles de la Société civile des droits d’auteurs des cinéastes et des photographes SOCIDRAP pour fédérer les cinéastes et l’ensemble des photographes aussi bien d’Art que ceux dits " filmeurs évènementiels" du Cameroun ? Que faut-il de plus si plus il doit il y avoir afin de remédier à la situation peu aisée de ces professions ?

Sans trop entrer dans les détails, puisque je ne suis pas sur place, je dirais simplement que si ces structures existent, il faudrait qu’elles soient plus actives. Il y’a un vrai malaise chez les artistes, je fais ici surtout référence aux photographes professionels qui voient en permanence leurs droits bafoués. Il faudrait que cela cesse. On ne fait aucune différence entre les photographes ambulants et les professionnels. De ce fait, les photographes Camerounais souffrent vraiment de voir leur image dégradée. En s’organisant autour de la Société nationale des droits d’auteur des cinéastes et des photographes (SOCIDRAP), ils forment une force, peuvent mieux marquer leur différence et mieux faire valoir leurs droits.

Pour faire avancer les choses, il faut écouter, essayer de comprendre les uns et des autres, dialoguer.  Savoir adapter tout en préservant les acquis qui fonctionnent.

Mais, comme chez nous les choses vont à une lenteur vertigineuse, on attend.

Femme engagée dans le cadre des photographies que vous avez réalisées en 2007 pour l’association Handicap et Esthétique, concept pédagogique d’expositions itinérantes pour une vision différente des personnes atteintes d’handicaps corporels avec conférences et séminaires dans laquelle Deza Nguembock qui suit vos traces est intervenue quelques temps après vous… 

Je ne pense pas que Deza qui est une amie et que je salue en passant suive mes traces. Bien au contraire, elle suit sa voie d’une manière déterminée et qui lui est propre.

Mais nous menons d’une certaine façon le même combat : rompre avec les stéreotypes et les a-priori et emmener les gens à porter et à poser un autre regard, d’abord humain et non d’apitoiement sur la différence de l’autre. Voilà, accepter l’autre avec sa différence,et surtout le juger par ses qualités. Voilà je crois que c’est aussi le rôle de l’artiste de dénoncer. Même si on ne peut pas changer le monde, on peut rêver de le faire.

vous présidez l’association ESSAMBA HOME que vous avez créée il y a quelques années. Basée à Yaoundé et non à Amsterdam où vous résidez, en quoi consiste-t-elle et quels en sont le fonctionnement, l’objet et la cause ?

Dans ce chantier, elle envisage l’art comme moyen de redonner une dignité à ces jeunes filles bafouées, de leur offrir les outils pour bâtir une conscience de soi, de les entourer d’un monde riche et sécurisant dans les domaines du symbolique et de l’imaginaire. Et ainsi contribuer à un monde équitable, sans exploitation. Elle s’attaque là, à mains nues, à une problématique complexe, une mission délicate, à la fois sociale et éducative. Elle nécessite une démarche d’approche et d’écoute auprès des jeunes, de recherche de solutions adaptées à chacune, puis de mise en place d’un parcours de développement personnel et de stabilisation afin de leur rendre accessibles un maximum de chances d’autonomisation, grâce à la pratique de l’art.

J’ai crée l’Association Essamba Home ( www.essambahome.com ) à Amsterdam en 2009 et la structure physique est basé à Mbankomo au Cameroun. Essamba Home est  un centre d’hébergement pour les jeunes filles abandonees et des rues au Cameroun. Les enfants des rues y sont plus d’un millier, mendiants, prostitués, exploités et maltraités, en butte à tous les dangers. C’est au service des filles, particulièrement délaissées que j’ ai voulue offrir ma notoriété. Avec l’aide d’organisations locales, je me propose de transmettre mon expérience de vie et d’artiste pour améliorer les conditions d’existence de ces jeunes et favoriser leur insertion sociale par l’art. Au centre d’hébergement est adjoint un centre d’art, doté d’une galerie, d’une bibliothèque, d’un équipement multimédia et de salles de cours. J’ai l’ambition de rassembler autour de moi des artistes, des intellectuels et des formateurs capables d’animer des ateliers, de partager et transmettre leurs connaissances et leur savoir-faire, d’organiser une grande variété de programmes et de manifestations. J’appartiens à cette tranche d’artistes qui sont très attachés au développement de leur pays, et je suis consciente que la notion de développement peut aussi passer par l’Art. C’est l’Art qui m’a permis de m’épanouir et d’être ce que je suis aujourdhui. C’est donc tout naturellement que j’ai envie de redonner aux miens et au moins privilégiés ce que j’ai reçue. L’Association Essamba Home utilise l’art comme un outil de sensibilisation et d’accompagnement pour réhabiliter les jeunes filles des rues et abandonnées de Yaoundé et leur redonner le sentiment de dignité et d’estime de soi en offrant des activités qui visent à les sortir de leur isolement et les incitent à l’expression artistique.

L’Association offre biensûr aux plus jeunes une éducation de base et aux plus âgées une formation afin de faciliter leur insertion socio-économique.Actuellement les principaux fonds sont issuent de Essamba Art, dont un pourcentage sur chaque oeuvre vendue est automatiquement versé à l’Association. Nous souhaitons rendre le Centre opérationnel au plus vite et acceuillir  les premières pensionnaires ( une dizaine de jeunes filles ).

Des actions par rapport aux objectifs associatifs que vous vous êtes fixée lors de la création de cette structure de bienfaisance ont-elles déjà été effectuées ? Si oui, pourrions-nous en obtenir descriptif et impact sur la population visée ?

C’est encore un projet en gestation. Heureusement la procédure des démarches administratives est close.

Le terrain est acquis. Des ventes de mes oeuvres ont été organisée pour récolter des fonds.

Le travail qui se fait actuellement en Hollande avec l’aide de bénévoles est d’approcher les entreprises, les organismes humanitaires mais aussi les particuliers.

Le plus difficile étant de récolter suffisament de fonds pour permettre le démarrage du Centre et assurer son fonctionnement quotidien sur une période de 3 ans.

Existe-t-il un bureau de relais dans d’autres pays d’ Afrique ou ailleurs ? Comment y souscrire ?

Il n’existe pas encore de bureau de relais. Si après démarrage du centre, les premières évaluations sont positives, alors nous appliquerons cette formule dans d’autres lieux.

L’Association Essamba Home dispose d’un compte bancaire sur lequel on peut souscrire  en allant sur le site : www.essambahome.com

Prix de l’Exposition de la Femme Africaine, unique camerounaise photographe d’Art renommée et collègue de Bill Betotè Akwa, Nicolas Eyidi, Samuel Nja Kwa, Samuel Fosso ou même dans une certaine mesure de Mario Epanya célèbre photographe de mode , envisagez-vous des actions pédagogiques ponctuelles de photographie avec des confrères pour les jeunes filles notamment et les jeunes en particulier dotés de talent ou des initiatives différentes éventuellement ? 

J’ai toujours souhaité transmettre d’une manière directe mon expérience et mes acquis dans le domaine  de la photographie. Malheureusement, l’art contemporain n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur et reste encore assez mal connu au Cameroun.  Après mon exposition au musée national de Yaoundé en 1996,  l’ex feu Ministre de la Culture, Ferdinand Oyono, paix en son âme, avait vu l’importance de former nos jeunes dans le domaine de la photographie d’art et m’avait sollicitée. J’avais alors proposé tout un programme de cours et de consultancy que j’avais élaborée à sa demande. Malheureusement, le projet n’a jamais vu le jour. Nos universités et grandes écoles devraient dans leurs programmes inclure des échanges en invitant des professionnels pour donner des masters classes et partager leur expérience et approche avec les étudiants. La photographie mériterait également plus de visibilité lors de manifestations telle que le Festival National des Arts et Culture du Cameroun, ( FNAC ). À part quelques rares espaces, il manque aux artistes les structures professionnelles adéquates où ils peuvent présenter leurs oeuvres et bénéficier d’une bonne promotion.

 Admirative de votre parcours depuis des années et de votre engagement humanitaire au travers d’ Essamba Home, tout en vous remerciant Madame, pour votre disponibilité, ultime question, quelles sont vos attentes relatives non pas au féminisme africain mais réellement à la Cause féminine africaine et camerounaise en particulier ?

Merci de mettre l’accent sur la cause feminine à laquelle je m’a associée plus qu’à la cause féministe. En effet, nous partageons un même destin , celui d’être des femmes d’Afrique. Nous devons plus que tout prendre ce beau destin en main et porter haut le flambeau. Il nous incombe à nous les porteuse, les gardiennes et les transmettrices de laisser un héritage aux jeunes générations, d’être des modèles d’identification qui leur permette d’aller de l’avant et d’être plus crédible. Quel sera cet héritage ? Certainement pas celle de la femme Africaine victime, opprimée, soumise, exotique, dépendante et seulement enfermée dans son role de mère et d’épouse, comme aiment tant le véhiculer les médias occidentaux. Mais celle de l’Africaine ambitieuse, capable de se faire entendre et de faire ses choix. Il faut donc qu’on se lève, qu’on s’insurge, qu’on s’indigne, qu’on dénonce pour faire advancer les choses. Il faut démentir et rompre avec les à prioris qu’on nous colle à la peau. Ce sont surtout là mes attentes de la femme africaine et camerounaise en particulier. Challenge, oui.

Mais comme vous savez : impossible n’est pas camerounais !

Commentaires

0 commentaires

Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux:

📸 INSTAGRAM: https://instagram.com/culturebeneofficiel
🌐 FACEBOOK: https://www.facebook.com/culturebene
🐤 TWITTER: https://twitter.com/culturebene
📩 EMAIL: culturebene@declikgroup.com
Afficher plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Bouton retour en haut de la page