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Rachel Mwanza : des trottoirs de Kinshasa aux tapis rouges d’Hollywood

Chez Rachel Mwanza tout est "cool". Cette cadence infernale de promo à laquelle elle s’astreint avec une discipline d’écolière, ces "blancs" qui l’a trouve touchante, formidable, courageuse et unique, ces actrices hollywoodiennes dont elle se souvient pas le nom, qui trouvent sa robe "beautiful", ces hôtels étoilés qu’elle visite aux quatre coins du monde, ce passé douloureux d’enfant de la rue de Kinshasa qu’elle dévoile à longueur de plateaux et d’antennes-radio, ce conte de fée qu’elle ne voudrait pas voir s’arrêter. On en vient à se demander s’il lui arrive de craquer. "Quand on n’est pas encore mort, on doit avoir de la patience, parce qu’on ne sait jamais", dit l’adolescente de 17 ans, long cheveux tressés et détachés en toute simplicité. Après avoir foulé les tapis rouges les plus prestigieux du monde du cinéma, elle a choisi de se raconter ouvertement dans un livre Survivre pour voir ce jour (Edition Michalon).

Un témoignage entre l’euphorie et le cauchemar, une de ces histoires qui tiennent du miracle. Difficile d’imaginer l’enfer qu’a traversé Rachel Mwanza, difficile de le décrire en évitant le pathos. Mbépongo Dédy Bilamba, qui lui a servit de plume enfermé avec elle pendant trois semaines à Grigny, a fait tout dire à Rachel "sans voyeurisme" : "C’était agréable d’avancer, c’était supportable parce que je connaissais la fin de l’histoire". La fin de l’histoire c’est un Ours d’argent au festival de Berlin pour le rôle de l’enfant-soldat Komona dans le film Rebelle du canadien Kim Nguyen, c’est un passage remarqué à la 85ème cérémonie des Oscars comme finaliste, c’est une rencontre avec Valérie Trierweiler, c’est le Canada où elle va désormais suivre une scolarité pour réapprendre à lire et à écrire, c’est le cinéma encore pour lequel elle co-écrit un scénario sur la volonté d’exil de milliers de jeunes africains.

Enfant sorcière

C’est une ado, jean, pull à strass, sweat négligemment posé sur les épaules, bottes en peau de mouton, objet de mode du début des années 2000, qui nous accueille début janvier au siège de "Michalon" dans le Vème arrondissement de Paris. Affalée devant un ordinateur, elle se préoccupe à peine de l’agitation autour d’elle. Avant de commencer l’entretien, elle demande à ce qu’on lui apporte son livre. Elle le pose devant elle, le feuillette et le repose. "Quand je le regarde là, je me dis que c’est bien moi et je suis fière oui. Il me rappelle ma vie, avant". Il faut ruser pour percer la carapace, pour rebondir sur ses silences sans préavis, pour ne pas se contenter de son histoire tragique comme accroche médiatique et faire en sorte que ses souvenirs ne lui échappent pas face au déluge de sollicitations qui l’enferme dans un récit maintes fois rabâché.

Née en République Démocratique du Congo, Rachel est la troisième d’une fratrie de six enfants nés dans une "famille riche" à 1.000 kilomètres de la capitale. Elle a 8 ans quand on annonce à sa mère que l’une de ses filles va lui apporter le malheur. Comme pour donner raison aux "prophètes", le père abandonne sa femme et ses enfants qui se réfugient chez la grand-mère maternelle à Kinshasa, dans cette capitale dévastée et livrée à elle-même depuis la chute du régime du maréchal-président Mobutu. L’argent commence à manquer, Rachel ne va plus à l’école, la nourriture se fait de plus en plus rare. L’enfant devient très vite le bouc-émissaire des difficultés financières de la famille et elle est désignée comme la "ndoki", une sorcière en lingala, l’oiseau de mauvais augure responsable du désastre familial.

4 ans dans la rue

"Personne ne m’aimait dans cette maison, la pauvreté c’était ma faute, la maladie c’était ma faute", énumère-t-elle les yeux fermés très fort, le poing serré. Après les humiliations, les séances de maltraitance par des exorciseurs-charlatans des Eglises de Réveil d’inspiration évangéliste qui pullulent à Kinshasa, Rachel sera jetée hors du foyer pour éloigner le mauvais sort. "Dans la rue […] s’il est bien une chose qui revenait inlassablement, c’est la douleur. Elle m’accompagnait lorsque j’avais faim dès la première heure, la journée lorsque je voyais les autres enfants aller à l’école dans leurs beaux uniformes, et le soir quand un homme sans cœur abusait de ma détresse", dit-elle dans le livre. Rachel survivra 4 ans dans la rue avant d’être repérée par l’équipe du documentaire "Kinshasa Kids", puis par celle de "Rebelle". Depuis, elle a troqué ses guenilles pour des vêtements plus confortables et elle a pardonné aux plus hostiles de son entourage. "J’étais une sauvage et j’ai changé, voilà!"

 "Proposer de l’espoir"

Et tant pis si les médias aujourd’hui lui demande de revenir sur ce chapitre dramatique, si le concept de résilience dont on l’affuble ne lui dit rien, elle veut "parler à mes amis et proposer de l’espoir". L’occasion lui ait donnée à Paris dans les salons du Quai d’Orsay, chez la ministre déléguée en charge de la Francophonie. Face à Yamina Benguigui, elle bute sur les mots et ne s’embarrasse pas de vouvoiement. La salle résonne encore de cet épisode où elle est enfermée par sa grand-mère dans la salle d’eau, quand elle s’arrête pour reprendre son souffle. Finalement ce sont des larmes qui surgissent hors champ des caméras. "Plus tu vas apprendre et plus tu vas abandonner ces choses en toi", rassure la ministre en lui tenant la main. En sortant, la jeune fille est ravie. "Je me demande pourquoi ils m’aiment tous-là, je ne les connais même pas… C’est cool quand on nous aime, hein", s’étonne-t-elle.

De l’équipe canadienne du film à son éditeur, Yves Michalon, les bonnes âmes lui garantissent tout ce dont elle a besoin. Difficile de l’avouer, mais son histoire l’a sert pour ce début de carrière qu’elle souhaite poursuivre. "Elle se rend compte de sa célébrité, mais elle est rattrapée par une certaine réalité", souligne Mbépongo Dédy Bilamba, "elle n’est pas autonome, le cachet du film ne lui suffit pas à aider ses frères et sœurs encore au pays, son entourage à Kinshasa n’est pas toujours bienveillant, après Rebelle, elle commençait à être oubliée…". L’exil est forcé et l’idée d’un retour au pays est vivace, malgré le tiède accueil qui lui a été réservée. "J’aimerais aller au Congo plus souvent, mais chez moi il n’y a rien, on recule". Une option non envisageable pour celle qui vient de découvrir sa photo en une d’un magazine people à côté de celle de Beyoncé, son idole. L’envie de réhabilitation parmi les siens attendra, de l’autre côté de la porte, les journalistes s’impatientent déjà.

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