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Pour Maya Angelou, la communion avec la terre ancestrale est impossible

Poétesse reconnue et acclamée, Maya Angelou est, à 80 ans passés, une icône incontournable des lettres américaines. Mais c’est relativement récemment, seulement en 1993, lors de la première investiture de Bill Clinton, que le grand public a pu faire sa véritable connaissance. Invitée du nouveau couple présidentiel, la barde a proclamé du haut des marches du Capitole à Washington, son très beau poème intitulé « In the pulse of the morning ».

Ce poème dont on pourrait traduire le titre par « Lorsque le matin frémit », faisait revivre le souvenir de Martin Luther King dont Angelou fut très proche et appelait le peuple américain à aider le nouveau président à réaliser l’harmonie raciale et communautaire dont le pasteur noir avait rêvé. « A rock, a river, a tree », chanta Maya Angelou, sa voix résonnant au-delà de la place du Capitole, jusque dans l’inconscient collectif.

Poésie comme refuge

En 1993, Maya Angelou n’était pas toutefois tout à fait une inconnue dans la république des lettres américaines. De son vrai nom Marguerite Johnson, née dans le Missouri en 1938, l’auteur de « Lorsque le matin frémit » s’était imposé sur la scène littéraire américaine dès les années 1960. Elle avait vécu d’autres vies, celle d’artiste, de danseuse, de chanteuse, de comédienne, avant d’entrer en littérature. Selon la petite histoire, elle est venue à l’écriture sur les conseils de son ami James Baldwin qui avait flairé son talent et l’avait poussée vers l’écriture. Ayant perdu coup sur coup deux amis charismatiques (Malcolm X et King) sur qui elle comptait beaucoup pour transformer l’Amérique de la haine et de l’inégalité raciale dans laquelle elle avait grandi, elle s’est réfugiée dans l’imaginaire, proclamant à travers les mots ses propres rêves et souffrances.

Auteur d’une poésie lyrique et incantatrice qui s’inscrit dans la tradition africaine-américaine des gospels et de l’oralité, Miss Angelou écrit le blues, racontant les heurs et malheurs des Noirs aux Etats-Unis, depuis la période de l’esclavage jusqu’aux temps contemporains. Facile d’accès, rythmée comme du jazz, cette poésie relève de la performance. Du slam avant la lettre qui a valu à son auteur d’être nominée pour les plus grands prix littéraires américains (Pulitzer, National Book Award) et l’admiration sans borne des auditeurs qui ont eu le bonheur d’assister à ses séances de lecture légendaires.

Les écrits autobiographiques constituent l’autre versant majeur de l’œuvre de la poétesse américaine. En réalité, ses mémoires en six volumes sont plus connus du grand public aujourd’hui que sa poésie. Le premier volume de son œuvre autobiographique Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage (1969) a connu un succès phénoménal. Il est inscrit dans le programme des écoles aux Etats-Unis, bien que la description sans ambiguïté que l’auteur y fait des problèmes raciaux et de son viol à 7 ans par son beau-père, continue de susciter des controverses, incitant les parents d’élèves à demander son retrait du curriculum.

Le volume traite des premières années de la vie de Maya Angelou dans le Missouri et l’Arkansas avec sa grand-mère paternelle. L’écrivain a raconté comment après le viol qu’elle avait subi, elle a perdu pendant cinq ans l’usage de la parole. C’est l’amour de la langue, instillée en elle par l’école et par ses lectures de la poésie noire américaine (Langston Hughes, W.E.B. Du Bois, Paul Lawrence Dunbar) qui lui ont permis de retrouver sa voix.

Une voix poignante, mêlée de rage et de rire

Et quelle voix ! Une voix à la fois poignante et pleine d’humour, mêlée de rage et de rire, que Maya Angelou nous fait entendre dans Un billet d’avion pour l’Afrique, le cinquième tome de ses mémoires qui vient de paraître en traduction française. Ce volume a pour thème l’Afrique, et plus particulièrement la traversée du continent noir par les Africains-Américains en quête de leurs racines et « d’un chez eux » comme l’écrit l’auteur.

Celle-ci a elle-même vécu pendant trois ans au Ghana, au début des années 1960, travaillant à l’université d’Accra comme assistante administrative. Puisant dans sa propre expérience d’expatriée américaine et noire, Angelou raconte : « J’étais donc enfin rentrée à la maison. L’enfant prodigue, qui s’était égarée, avait été vendue ou volée sur la terre de ses ancêtres, avait dilapidé les dons de sa mère et dormi dans des fossés cruels, s’était enfin levée et jetée dans les bras accueillants de sa famille où elle serait lavée, parée des plus beaux atours et invitée à la table d’honneur. J’étais l’un des quelques deux cents Noirs américains de St. Louis, New York, Washington, Los Angeles, Atlanta et Dallas désireux d’accomplir le récit biblique. »

Dans les années 1960, le Ghana du président Nkrumah était un véritable laboratoire de l’Afrique des indépendances où se mettait en place la nouvelle « personnalité africaine » sur fond de solidarité panafricaine. Ce pays faisait figure de terre promise aux yeux des Noirs Américains qui avaient fui l’Amérique de la ségrégation raciale et espéraient repartir sur de nouvelles bases sur la terre de leurs ancêtres. Le président ghanéen avait personnellement invité les leaders éminents mais vieillissants de la communauté noire américaine tels le couple Du Bois, à venir finir leur jour au Ghana, loin des harcèlements dont ils étaient victimes chez eux. A la suite de ces personnalités, une véritable colonie d’immigrants noirs américains s’était constituée à Accra. Ils vivaient souvent d’expédients et souffraient de l’indifférence que leur témoignaient les Ghanéens.

Espoirs déçus

Avec sa plume à la fois cocasse et grave, truffant le récit d’anecdotes (offre de mariage par un polygame malien, attentat raté contre Nkrumah, visite de Malcolm X au Ghana), Maya Angelou raconte surtout les espoirs déçus des expatriés noirs . « A leur arrivée à l’aéroport d’Accra, certains voyageurs espéraient que les douaniers leur tendraient les bras, que les porteurs crieraient « Bienvenue ! » et que les chauffeurs de taxi les emporteraient en klaxonnant comme des fous vers la principale place de la ville, où des fonctionnaires souriants les couvriraient de rubans et leur donneraient l’accolade avec une sincérité larmoyante. Or notre arrivée n’avait pas grand impact, sinon sur nous-mêmes. »

D’où le constat tragique pour l’Américaine Maya Angelou, petite-fille d’esclaves noirs : la communion avec la terre ancestrale est impossible. Car l’Afrique est allée de l’avant, comme cela se doit, depuis la traite négrière et ne garde aucun souvenir de ceux qui lui avaient été si brutalement arrachés.

L’ouvrage se clôt toutefois sur une note d’espoir, avec l’auteur imaginant le temps retrouvé, perdurant dans les rues et les cabanes de Philadelphie, de Boston ou de Birmingham. Poète, elle nous fait entendre, derrière le « rire ample et franc » des siens, « rire les anciens » !

Un Billet d’avion pour l’Afrique, par Maya Angelou. Traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Editions Les Allusifs. 226 pages.

 source: rfi.fr

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