
Du 04 au 05 juillet 2024, s’est tenu, à l’hôtel Hilton de Yaoundé, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire du quotidien national bilingue Cameroon Tribune, un colloque scientifique international sur le thème : « Presse publique, pluralisme politique et révolution numérique », sous la Direction scientifique du Pr Jacques Fame Ndongo, ministre d’Etat, ministre de l’Enseignement supérieur, Chancelier des Ordres académiques, par ailleurs le tout premier Coordinateur de la Rédaction de Cameroon Tribune.
Organisé autour de cinq panels, les exposés et échanges ont porté sur : la socio-histoire de la presse écrite publique au Cameroun et en Afrique ; la presse écrite publique au défi du pluralisme politique au Cameroun et ailleurs ; l’impact de la révolution numérique sur la presse écrite ; le style, le langage et les régimes de vérité des entreprises de presse écrite publique et les contraintes et les promesses de l’entreprise de presse en Afrique.
La leçon inaugurale délivrée par le Pr Jacques Fame Ndongo a marqué l’ouverture du colloque. Mais bien avant cela, monsieur Joseph LE, ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, par ailleurs président du Conseil d’administration de la Société de presse et d’éditions du Cameroun (SOPECAM), a souhaité la bienvenue aux participants venus du Cameroun, du Nigeria, du Gabon, de la Centrafrique, du Congo, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la Guinée équatoriale et du Kenya.
Il a souligné que « la presse écrite de service public évolue aujourd’hui dans un contexte nouveau où les technologies de l’information et de la communication ainsi que l’intelligence artificielle bouleversent sans cesse les approches et les pratiques professionnelles, et remettent en cause les modèles économiques des entreprises de presse qu’il faut alors repenser chaque jour. »
Pour lui, alors que de nombreuses publications en Afrique et ailleurs n’ont pas échappé aux difficultés économiques et financières que connaît l’univers de la presse écrite, le « quotidien national bilingue » a plutôt su résister et se maintenir à flot. Ceci, grâce à l’action de l’Etat, unique actionnaire de la SOPECAM, entreprise éditrice de Cameroon Tribune, et par la volonté de Son excellence Paul Biya, président de la République, chef de l’Etat, qui a toujours su apporter des réponses adéquates aux menaces qui pesaient sur la vie du journal, lui permettant ainsi de traverser de nombreuses zones de turbulence. Raison pour laquelle la SOPECAM a tenu à lui rendre un hommage particulièrement mérité, tout en lui exprimant sa déférente gratitude.
Présentation, par les responsables des journaux étrangers invités, de l’expérience de la presse écrite de service publique dans leurs pays respectifs
Prenant la parole, les 8 responsables des journaux étrangers invités, ont présenté l’expérience de la presse écrite de service publique dans leurs pays respectifs. Karl Dieu Béni Ngrebada, directeur général de l’Agence centrafricaine de presse, a émis le souhait d’un partenariat entre son pays et le Cameroun afin de relancer la presse d’Etat qui n’existe plus dans son pays.
Le directeur général adjoint chargé des Rédactions et des Activités d’édition du groupe « Fraternité » en Côte d’Ivoire, Adama Koné, a pour sa part, indiqué que la presse écrite a encore de beaux jours devant elle bien que confrontée à la percée de la digitalisation. Daouda Mane, directeur des Rédactions du quotidien « Le Soleil » au Sénégal espère, au terme de ce colloque, accélérer le processus de numérisation des archives dans l’entreprise.
Le directeur et rédacteur en chef de « The Sun Publishing Limited » au Nigeria, Onuoha Ukeh, a félicité le staff managérial du quotidien national bilingue « Cameroon Tribune » pour son professionnalisme en l’exhortant à maintenir le cap. Ochieng Rapuro, éditeur en chef du « Standard Group » au Kenya a, quant à lui, expliqué que la compétition intense qu’imposent les plateformes d’informations digitales engage les journaux à continuer de s’arrimer afin de rester au top.
Olivier Ndembi, chef de service des enquêtes à « L’Union » au Gabon, a souhaité plus de professionnalisme de la part des journalistes. Il a à cet effet demandé à ces derniers de travailler davantage en s’adaptant à la nouvelle donne. Filiberto Nseme Nsue Nchama, directeur général de la presse écrite et du site institutionnel du ministère de l’Information, de la Presse et de la Radio de la Guinée équatoriale, est allé dans le même sens que les précédents orateurs.
Pour parler des autres thèmes qui meublaient le colloque, plusieurs intervenants aussi perspicaces les uns que les autres, ont tenu en haleine l’auditoire. Exposant sur le thème : « (Socio) histoire de la presse écrite publique au Cameroun : la presse du dominant et du dominé », le Pr Laurent Charles Boyomo Assala a refait le parcours de la presse écrite depuis la presse coloniale jusqu’aux lois de décembre 1990 qui ont vu le Cameroun s’ouvrir à la pluralité médiatique.
Le Pr Alawadi Zelao, qui exposait sur le thème : « Socio-histoire de la presse écrite publique dans les pays d’Afrique dite francophone », a relevé que la presse dans l’espace francophone africain est un outil d’édification de la société moderne africaine.
Intervenant sur le thème : « La presse écrite publique face au défi du pluralisme politique au Cameroun et ailleurs », le Pr Shérif Ghali Ibrahim, chef du département de Sciences politiques et relations internationales à l’Université d’Abuja, directeur du Centre de recherche contemporaine Chine-Afrique au Nigéria, a mis en exergue le rôle central joué par les médias dans le processus de décolonisation de l’Afrique, au même titre que les partis politiques. Pour lui, les médias continuent de jouer un rôle de garde, dans la mesure où ils observent, surveillent et dénoncent… Il a, par la suite, relevé les défis auxquels font face les médias, aussi bien au Nigeria que dans toute l’Afrique. Et pour conclure, le Pr Chérif a suggéré aux médias de presse écrite de diversifier leurs sources de diffusion.
Le Pr Fabien Nkot, chef de département de sciences politique à l’Université de Yaoundé II-Soa, Secrétaire général du ministère des Enseignements secondaires a, quant lui, exposé sur « La presse et la démocratie : l’hypothèse d’un coup d’Etat permanent ». D’emblée, il a mis en relief le rôle clé des médias dans la culture démocratique de nos pays, et davantage en Occident.
« L’impact de la révolution numérique sur la presse écrite »
Intervenant sur ce panel, Lucie Mboto Fouda, ancienne porte-parole et responsable de la communication du Fonds monétaire international (FMI) pour la région Afrique a, présenté l’environnement numérique comme « un espace structuré par des instruments technologiques divers, permettant aux usagers d’accéder à des ressources et à des services numériques présents sur les machines (ordinateurs, tablettes, smartphones) ou en ligne ». Selon elle, l’ère du numérique est un phénomène qui a entrainé de profondes transformations, mais aussi des défis pour l’homme. Elle a aussi insisté sur les pistes de réflexion qui peuvent contribuer à améliorer la présence de la presse écrite en ligne. Pour elle, il est urgent de repenser totalement le mode de fonctionnement des rédactions et dédier une équipe spécifique à la gestion quotidienne de la présence online ; choisir avec soin les supports de médias sociaux à utiliser, sur la base de données chiffrée sur leur pénétration dans les tranches des cibles visées. Enfin, la consultante internationale propose d’être agile et savoir s’ajuster rapidement, en fonction des tendances sur la toile par rapport à son positionnement et sa ligne éditoriale.
Dans sa communication sur le thème « Intelligence artificielle : risque ou opportunité pour la presse écrite », Albert KAMGA, directeur de la Normalisation et de la Coopération de l’ANTIC, représentant du Directeur général de l’ANTIC, Ebot Ebot Enaw, a indiqué d’entrée de jeu que l’intelligence artificielle joue actuellement et continuera de jouer un rôle majeur dans la vie de la presse écrite. Il recommande cependant de ne pas avoir peur de l’intelligence artificielle dans le domaine de la presse écrite où elle peut apporter un plus au travail du journaliste. Il recommande néanmoins de procéder à la formation des journalistes aux compétences nécessaires qui leur permettront de travailler de manière efficace avec l’intelligence artificielle et garantir ainsi un journalisme éthique et responsable.
« Contraintes et promesses de l’entreprise de presse en Afrique »
Exposant sur le thème : « Au fil du temps : le style de Cameroon Tribune dans le paysage médiatique au Cameroun et l’apport de la féminisation des effectifs », Marcelline Nnomo Zanga, professeure émérite des universités, Docteure d’Etat ès Lettres en Littératures et civilisations africaines, critique littéraire et spécialiste de la littérature comparée du continent et de la diaspora afro-américaine, a esquissé une réflexion sur le nouveau champ de recherche qu’ouvre le vocable féminisation des effectifs et son incidence sur le style d’un organe de presse. Elle est partie de la genèse de Cameroun Tribune, de son ossature informationnelle et communicationnelle, pour en dégager l’incidence de l’approche genre sur le style dudit Journal.
Parlant des «régimes de vérité dans la presse écrite au Cameroun », le Pr Arnold Martial ATEBA, enseignant de science politique au département de science politique de l’Université de Yaoundé II et Gérard AMOUGOU, chargé de cours au département de science politique de l’Université de Yaoundé II, ont, d’entrée de jeu, indiqué que le débat concernant le rapport du journalisme à la vérité semble miné puisqu’il conduit la plupart du temps à deux écueils difficiles à éviter : le dialogue de sourds entre tenants de positions théoriques ou professionnelles le plus souvent radicales (et bien entendu incompatibles); le relativisme désenchanté de ceux qui, sans doute après avoir connu l’écueil précédent, en arrivent à douter de l’intérêt même de la discussion, vouée selon eux à tourner en rond. Pour ces deux universitaires, la presse écrite camerounaise évolue dans un environnement qui lui est propre, en fonction de son statut privé ou public.
« Contraintes et promesses de l’entreprise de presse en Afrique »
Paul Mengoumou, journaliste-producteur pour Radio-Canada et le Groupe Média TFO, enseignant de journalisme et de droit de la personne, basé à Ottawa au Canada, exposant sur le sous-thème : « Défis et perspectives des médias du secteur public : la problématique de la pertinence 50 ans après la création de Cameroon Tribune », a dans sa communication, relevé que malgré ses réalisations, Cameroon Tribune est confronté à plusieurs défis qui menacent sa viabilité et sa pertinence dans un environnement médiatique de plus en plus numérique et concurrentiel. Selon lui, Cameroon Tribune devrait donner la priorité au renforcement de l’indépendance éditoriale, du professionnalisme et de la transparence pour préserver l’intégrité journalistique et regagner la confiance.
S’épanchant sur « L’économie de la presse écrite et ses spécificités », le Pr. Brusil Miranda Metou, Professeur des universités, agrégée en Droit public a indiqué que le paysage médiatique subit de profondes mutation et la presse écrite est confrontée à des changements qui affectent toute son économie.
Se prononçant sur « Les espoirs et les contraintes du modèle de presse publique écrite au Cameroun », Marie Claire Nnana, directeur général de la SOPECAM, a indiqué que la SOPECAM reste une entreprise toujours en quête d’un certain équilibre de son exploitation et de sa gestion financière. « Nous serions injuste si nous n’ajoutions pas que l’appartenance à l’Etat d’un média a un avantage non négligeable : celui d’avoir l’oreille de l’Etat en cas de grandes difficultés. C’est ainsi que la Sopecam a pu obtenir des aides ponctuelles importantes, notamment l’achat d’une rotative de presse neuve », a-t-elle déclaré.
Reconnaissant qu’il s’agit là d’un acquis encourageant, Mme Marie Claire Nnana a cependant indiqué que pour s’épanouir davantage, la presse écrite publique doit travailler dans deux directions. D’un côté, continuer à améliorer le journal papier, avec des sujets qui accrochent le public et des analyses pertinentes. Et de l’autre, continuer à affirmer sa stratégie digitale, réclamer à l’Etat propriétaire une clarification de son statut juridique.
« Et si, pour asseoir la résilience de la presse écrite publique, on changeait de paradigme ? » était le thème de la communication d’Alain Noël Olivier Mekulu Mvondo, directeur général de la CNPS. Pour lui, le changement de paradigme revient à questionner au préalable la pertinence et l’efficacité du modèle actuel, fondé sur le soutien public à l’exploitation en complément des revenus commerciaux issus des ventes et de la publicité. Il semble que ce soit dicté, non pas par l’évolution de l’environnement de la presse (concurrence, lectorat…), mais plutôt par la nécessité de survie face à la rareté des soutiens de l’Etat propriétaire.
Il est important de se rappeler que du 1er au 5 juillet dernier, le journal national bilingue, Cameroon Tribune, a fêté son cinquantième anniversaire. Cette semaine a été ponctuée de nombreux événements tels que des conférences, des colloques, des journées portes ouvertes, une remise de prix aux membres du personnel distingués et une soirée gala.
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