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Valsero ou le métier de rappeur

Cette question est embarrassante parce que je dois essayer de prouver par des arguments solides une position qui pourtant va de soi sous d’autres cieux. Ailleurs cette question ne se pose plus. Mais chez nous, il est nécessaire de se la poser : le rap est il un métier ? Répondre par l’affirmative serait affirmer par le fait même que le rappeur tire ses moyens d’existence du rap. Est-ce le cas ? Réponse à contrario reviendrais à dire que le rap n’est qu’un loisir, un art distractif, qu’on exerce pendant les heures perdues pour un passe temps, pour se détendre de ses heures fatiguant au boulot ou à l’école. Si je me penche sur cette thèse (ou antithèse) le vécu de certains rappeurs à l’instar de Valsero doit me contredire forcément.

Cette dernière thèse reste valable, et il ne serait pas sage de la balayer d’un revers de la main à la Nadal, mais aussi y retenir ce qui peut être pris pour vrai. Parce que le rap dans notre société tarde encore à être accepté comme une musique à part entière. On ne prend pas le rap au sérieux et les « rappeurs » ne se prennent pas non plus au sérieux. Il n’est pas commode d’entendre quelqu’un répondre à une question du genre : qu’est ce que tu fais dans la vie ? Dire : je suis rappeur. Parce que chez nous, on est d’abord quelque chose avant d’être « rappeur » à la suite. On est soit élève, étudiant, fonctionnaire dans tel ou tel ministère…avant d’être rappeur. C’est pourquoi chez nous quand on t’entend dire que tu es rappeur, on conclut forcément que tu ne fais rien dans ta vie. C’est ainsi qu’ironiquement Thomas N’Guidjol qualifiait les rappeurs du 93, « les chômeurs ».

Chômeur, c’est-à-dire celui qui ne travaille pas, et chez nous il n’est pas possible de faire croire à quelqu’un que tu travailles en passant toutes tes journées au studio, ou enfermé dans ta chambre à écrire des textes qui souvent n’ont aucun sens. Chômeur parce que le rap ne rapporte pas, parce que ceux qui le pratique n’en vivent pas. C’est ainsi que certains « rappeurs » trouvent décent de se présenter comme : animateurs, producteur, programmateur, promoteur de spectacle…

Mais dans ce courant erroné de pensée, j’ai été surpris de rencontrer certains qui ont osé nager à contre courant. Valsero en est le prototype. Certains diront pourquoi Valsero et pas d’autres. Moi je leur répondrais ainsi, parce qu’écrire mes chers lecteurs c’est choisir. J’ai choisi Valsero parce que ça allait de soi.

Valsero parce que comme il le dit : j’ai fait de longues années d’études mais je n’ai trouvé d’emploi. Et comme la plupart, il a voulu exprimé sa rage dans sa passion qui est le rap. Mais au fil du temps, le rap est devenu une partie essentielle de son existence qu’il n’a plus eu le courage de s’en séparer, comme le dit le Rat Luciano, « Inséparable de moi, comme la lune de la nuit ou le regard de l’œil » Et contrairement à d’autres, il a pu et su transformer sa passion en un métier. Le rap qui, depuis lors était sa passion est devenu son métier. C’est sous la casquette de rappeur que Valsero est invité habituellement sur les plateaux télé et radios, c’est sous la même casquette qu’il se présente dans tel ou tel lieu de service. C’est avec fierté que j’ai lu sa fameuse lettre au « pichichi », à la fin de cette dépêche il signe ainsi, « Valsero, artiste rappeur ». Voilà un qui a choisi son métier et qui l’assume.
sur le plateau de l’émission « tour de contrôle », il disait alors que pour faire ce genre de métier (rap) il ne faut pas avoir faim. Est-ce à dire que le rap nourrit son homme ? Là n’est pas la question. Le problème se pose au niveau de la manière avec laquelle il exerce ce métier.

Valsero en exerçant son métier de rappeur, use des moyens qui lui sont offert, pour mener sa lutte. C’est dire que même s’il se nourrissait de son métier, il ne se complait pas non plus dans la « politique du ventre », parce que : la bouche qui mange ne parle pas. Valsero parle, et il assume ses propos, il est sous tous les fronts de combats, il lutte pour la cause de ceux qui n’ont pas les moyens de le faire. Son engagement artistique nous rappelle celui des poètes comme Emile Zola, Victor Hugo, Jean Paul Sartre, Engelbert Mveng, Mongo Béti… et il confirme par là l’affirmation de Kery James selon laquelle : en ce siècle les rappeurs sont les héritiers des poètes. Et pour le voir, retournons le regard chez l’un d’eux pour demander ce que c’est que le poète. Victor Hugo dira que le poète est celui qui, « en des jours impies vient préparer les jours meilleurs ». Et Jean Paul Sartre dira que l’écrivain est : naturellement révolutionnaire. Ecrire s’est s’engager. Et Valsero n’écrit pas seulement, il transforme sa parole en action. Malgré les incartades, les répressions régaliennes du système, les injures, les clichés, la piraterie… il ne lâche pas prise. Le rap c’est sa prison et seule la mort peu l’en faire sortir. (cf marginale music). Le vécu de cet artiste nous prouve que s’il n’avait pas été rappeur, il aurait été un soldat, ou au plus un GENERAL.

Qu’on lui mette les bâtons dans les roues, le gars continu sur les gentes. C’est ainsi qu’il affirme qu’ « on peut tuer un général mais pas la révolution ». Quel est donc cet homme qui fait de sa passion son métier et de son métier sa vie au point de vouloir en mourir ? n’est pas là l’exemple vivant du vœu émis par Mandela ?: tout ce que vous faites, faites le, et faites le bien. Pour Valsero, c’est un métier que de construire les ponts et les chaussées, c’est aussi un  métier que d’écrire un texte et de sortir un disque. Beaucoup le font mais ne peuvent pas être logé dans la même enseigne que lui. Combien voit t’on a la télé en train de défendre une opinion en faveur de la jeunesse, faire la une de la presse nationale, combien voit t’on au front combattre contre l’injustice et l’horreur du système, j’aiguise mes yeux et mes oreilles, je ne vois qu’un seul, et je n’entend crier qu’un seul nom : Valsero.

Valsero a eu sa récompense, mais quelle récompense ? On l’a accusé de tous les maux, d’avoir été inscrit à l’ENAM, d’être fonctionnaire dans tel ou tel ministère, d’avoir dîné avec tel membre du parti au pouvoir… les journalistes l’ont même accusé d’avoir retourné sa veste. Mais l’homme est resté déterminé, parce que sa vérité n’est pas à vendre, et qu’elle ne se prostituera jamais sur le boulevard des vendus. Qu’on le loue ou qu’on l’insulte, il n’en a rien à foudre. Que sa vérité dérange ou arrange, s’il faut en payer le prix il le paiera.  Valsero n’est plus seulement un nom d’artiste, mais un symbole. Il suffit de parler de Valsero pour voir les jeunes se mobiliser avant de demander pourquoi ils se mobilisent. Qui disait que la jeunesse manquait de repères ? 
Le système a immergé Valsero, mais par sa prise de conscience il a pu émerger. Il n’est plus du troupeau, c’est un leader. C’est même un bénévole ou alors un volontaire. Car voilà les récompenses de son métier que nous avons cité plus haut. Comme Kéry James, il pratique un « art prolétaire », il exerce donc un métier qui « apporte » et non qui « rapporte ». Quand Valsero disait qu’il ne faut pas avoir faim quand on exerce le métier de rappeur, il parlait plutôt de la « faim spirituelle ou intellectuelle ». Sur ce plan plusieurs de nos « rappeurs » ont bien faim. Donc, ils ne sont pas des rappeurs.

Valsero par son métier qu’il exerce avec amour, est donc tout ça à la fois. Il est le poète, le dissident, l’engagé, l’activiste, le modèle…modèle pour les jeunes qui attendent tous les bras croisés les recrutements massifs pour rêver être fonctionnaire d’Etat, modèle pour ceux qui font du rap un passe temps, un moyen de se faire du plaisir de l’argent de la renommée, de la célébrité…on assiste aujourd’hui à une déliquescence et une effervescence du métier de rappeur. Plusieurs s’y retrouvent parce qu’ils ont manqué l’occasion d’exercer tel ou tel métier. Ne sachant ni écrire les vers, ni compter les syllabes et les mesures ni distinguer le nom du verbe, décident délibérément et béatement de faire le rap, comme beaucoup décident aujourd’hui de jouer au foot, par suivisme et non par aspiration. A ceux là par la voix de Nicolas Boileau je leur dis ces mots : «  soyez plutôt maçon si c’est votre talent… qu’écrivain du commun et poète du vulgaire ».

Le rap est un métier, malheur à celui qui l’exercera sans en tenir compte. Le rap est une musique comme toute les autres, mais il ne devient métier que lorsque celui qui l’exerce l’intériorise, le conscientise, le vitalise, et lui donne du sens et de la puissance. Sur ce, pour moi, Valsero sous nos cieux en est le meilleur exemple.

« Le rap c’est ma vie, c’est mon métier mon chantier » le Rat Luciano, in marginale music

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