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(Re)Lecture des 10 commandements de Monsieur R 5ans après publication. (De 1 à 5)

Comme la plupart des premiers MCs en France, ayant épousé cette culture fraichement sortie des ghettos de New York, Monsieur R pendant toute sa carrière rapologique, va pratiquer cet art avec la même rage de dire si chère à Public Enemy. L’engagement sera le leitmotiv de ce rappeur. Les titres de ses multiples opus en dit long. Faut’ il pour le témoigner citer « mission R », « Au commencement », « Sachons dire Non », « Anticonstitutionnellement » ou encore « politikement incorrect » ? Il le faut, parce que dans tous ces albums, Monsieur R reste fidèle à son écriture révolutionnaire et subversive, et lorsqu’il clame ses phrases froides, on n’entend que la voix d’un jeune enragé et engagé. Le prix de la vérité, Monsieur R le paiera. Après la sortie de son titre « franSSe » il sera poursuivi par la justice, interdit de scènes de ventes et de manifestations sur tout le territoire français, comme ça été le cas avec NTM, SNIPER et aujourd’hui avec YOUSSOUPHA… tous ces artistes qui n’hésitent pas à « niquer le système » et pensent qu’ « on ne peut pas prétendre faire le rap sans prendre position ». Ennemi de l’inanité donc adepte et promoteur de la révolution, Monsieur R aime voir changer les choses. C’est ainsi qu’en 2006, période où le rap Camerounais vacillait entre le progrès et le déclin, que le rappeur français, va proposer via le portail kamerhiphop, des voies de sortie de crise à ce mouvement. Projet qu’il va diviser en plusieurs points, et va l’intituler : « les 10 commandements pour relever le hip hop camerounais ». 5 ans après sa publication les objectifs escomptés ont’ ils été atteints ? Les acteurs du hip hop au Cameroun qu’ont-ils fait de cet héritage ? Quelle (re)lecture pouvons nous faire dores et déjà de ce projet canonique ?

1-    Tu ne produiras que du bon son.

Dans ce premier commandement, Monsieur R demande aux producteurs de s’atteler à n’offrir au public que ce qu’il y’a de bon comme son dans leur écurie. Ainsi, ils ne doivent pas cesser d’être strict dans la sélection et le tri de ceux qu’ils veulent produire comme artiste. Ici la rigueur doit primer sur le sentiment et le « tchoko ». Selon une formule si chère à Monsieur R, ils doivent savoir « dire non ». Non à la médiocrité, non à l’inefficacité, parce que ces non-valeurs empêchent inéluctablement le produit de faire face à la concurrence et d’attirer le marché, ceci se justifie par le manque de compétence dû au manque de sérieux mis dans la production.

Savoir dire non à la médiocrité, mais aussi « oui », à l’excellence. Dans ce sens on peut dire sans risque de se tromper qu’au Cameroun c’est du mi-figue mi-raisin. Depuis lors, de bons artistes se sont présentés avec de bons sons, sortis des bonnes maisons de production.  Et comme le talent ne ment pas, c’est eux qui sont à la tête des « ventes » des hits et des affiches, c’est eux qui reçoivent tel ou tel prix, c’est eux qu’on invite de toute part, bref ils font la pluie et le beau temps de la scène hip hop au Cameroun. Or, ceux qui ont choisi de briller par le défaut de qualité, en produisant des sons à en blesser les oreilles, produits avec une telle facilité et une facticité qui frisent la nullité, eux aussi ont leur récompense. Par conséquent, ils ne sont joués que dans des émissions où ils ont pour pote l’animateur, ils ne sont invités que sur les scènes où ils ont l’oncle ou le cousin pour promoteur. Dans le cas contraire ils se tapent la tête contre le mur.

Quand Monsieur R, parle de bon son, on doit comprendre « son » ici comme l’addition entre le talent de l’artiste dans l’écriture et le flow, et la capacité du producteur de son, à monter un beat qui puisse consonner avec le texte de l’artiste et ensuite veiller à l’arrangement fin du son, pour qu’il puisse plaire à l’oreille.

2-    Tu t’ouvriras au monde extérieur

Cette deuxième proposition ne peut pas se réaliser sans le respect de la première. La participation aux festivals internationaux nécessite au préalable une invitation de la part des promoteurs de ces évènements. Un rappeur ne participe pas à un festival, comme un amateur du ballon rond participe à une rencontre footballistique. La participation à ces évènements n’émane pas de la volonté propre des artistes. Si volonté il y’en a, c’est seulement dans la mesure où l’artiste accepte de plein gré de ne faire que ce qui est bon. Les promoteurs ne sont pas des philanthropes, ils ne font pas n’ont plus dans l’humanitaire. Ils n’invitent que des artistes jugés capables de satisfaire aux exigences les plus capricieuses du public.

La participation à ces festivals est même un critère de reconnaissance de l’artiste et de sa représentation. Pourquoi depuis 5 ans, plus de 5 de nos artistes n’ont pas pu représenter le mouvement hip hop à l’extérieur ? C’est une question qui mérite qu’on y prête notre attention.. Mais ce que Monsieur R a oublié et la plupart des artistes hip hop au Cameroun aussi, c’est que l’universel marche toujours avec le particulier. On ne peut pas s’ouvrir au monde extérieur si on n’a pas dans un premier mouvement nourrit et forgé son intérieur. Qu’est ce que fait l’arbre avant d’élever le plus haut ses branches, n’enfonce t’il pas ses racines aux tréfonds de la terre ? Comment participer aux festivals des autres si toi-même tu ne participes pas à tes propres festivals ?

3-    Tu bosseras à l’éclosion d’un vrai marché kamer hip hop.

Monsieur R propose ici, l’instauration ou la mise sur pied d’un réel marché de disque de hip hop au Cameroun. Le constat depuis ces 5 dernières années, c’est que le marché, lui il n’existe pas. Pas que les artistes ne vendent pas, au contraire ! Leurs disques se vendent même en milliers, mais le problème se pose au niveau des stratégies de vente, qui n’ont rien à voir avec le monde professionnel dans lequel Monsieur R et nous souhaitons voir vivre le hip hop au Cameroun. Combien d’artistes peuvent nous dire avec certitude, dans quel lieu précis au pays pouvons nous acheter leurs disques, moi je les compte au bout du doigt. Aucun réseau fiable de distribution et de promotion des artistes hip hop n’existe dans notre pays.

Mais les gars essayent quand même, mais se focalisent et ne se localisent qu’à Douala et Yaoundé, comme s’il existait un pacte occulte qui exigerait que ne soit accepté comme hip hop que ce qui proviendrait de ces deux villes. En plus de leur régionalisation, ces structures se heurtent à plusieurs écueils parfois insurmontables : le problème de la communication qui ne précède pas et ne suit pas les produits. La communication n’existe presque pas, et où elle peine à exister il n’y ressort que de l’amateurisme et du bricole. Les techniques de vente comme on l’a dit plus haut sont rudimentaires et désuète, les artistes qu’ils vendent ne sont pas crédibles et ne disent pas grand-chose au consommateur, ils passent indifférents. L’autre problème que plusieurs commencent à résoudre est celui du coût des disques que les artistes mettent sur « le marché », qui sont souvent à des prix exorbitants et qui dépassent l’entendement. Les premiers qui l’ont essayé ont eu leur dose, les seconds commencent à comprendre. Au-delà de tout ceci il ne faut pas perdre de vue que ces structures doivent vivre, eux avec leurs employés, or ce qu’on a vu jusqu’ici c’est qu’ils font pour la plupart des cas du bénévolat. Pas parce qu’on refuse de les payer, mais parce que ces moyens n’existent pas, même à faible dose.

4-    Tu auras ton propre festival

Monsieur R à mon avis, dans un souci de logique et de continuité, devait placer ce 4em point à la suite du 2em. Dans la mesure où il demande aux rappeurs de s’ouvrir au monde extérieur par la participation aux festivals, pourtant ils ne participent pas d’abord aux festivals chez eux, c’est paradoxal. C’est même une honte que la culture hip hop au Cameroun ne puisse pas se vanter d’un festival de référence. A l’heure où, comme le souligne Monsieur R, les pays comme le Niger, le Gabon, le Sénégal, le Burkina Faso…ont leur festival, où nous supplions souvent sans suite favorable, pour y participer. Un festival hip hop ce n’est pas un spectacle. C’est un évènement qui doit s’étendre sur une période bien déterminée, et qui puisse offrir une tribune aux différents artistes des différents domaines du hip hop de présenter leurs produits. Et cet évènement pour gagner en extension doit s’ouvrir à son tour à l’extérieur.

Mais depuis lors, ceux qui ont essayé de s’y lancer, n’ont pas pu gagner le pari de la régularité et de l’authenticité. Les festivals à la naissance sont hip hop, certains y ajoutent même 100°/° hip hop ; mais prennent en grandissant d’autres colorations qui la dénature, la décrédibilise, et l’asphyxie donc la tue à petit feu. D’autres nous prouvent par des adjectifs et les épithètes de régionalisation qu’ils ajoutent au nom de leur festival, que ces évènements appartiennent ou n’appartiennent qu’à telle ou telle localité, à telle ou telle ville, ou bientôt à tel ou tel quartier. Comment alors s’ouvrir au monde extérieur, quand on reste clos en soi même ?

5-    Tu arrêteras de niquer les autres

En ce 5em point, Monsieur R s’érige en médiateur entre les adeptes du « rap mboa » et ceux qui se réclament être des « puristes ». Il demande donc par là de cesser avec la guéguerre qui n’aura pour fin que la guerre des clans. Pour lui il doit exister une coexistence pacifique entre ces mouvements, parce que le hip hop au Cameroun a besoin de tous ses acteurs pour sortir des « ténèbres », et découvrir la lumière rayonnante du show bizz.

Mais Monsieur R oubli une chose, lui un acteur de la résolution, c’est que comme le pense les marxistes, la lutte ou la compétition est le moteur de l’évolution. Il faut toujours pour découvrir la vérité, passer par une démarche dialectique de la raison (un pour et un contre). Le problème ici au Cameroun c’est que, qui doit donc être pris comme « pour » et qui comme « contre » ? La lutte ici est prise comme une lutte des idées. La concurrence aussi peut être une sorte d’émulation, chacun voulant montrer aux yeux de l’autre et du public que c’est lui qui mérite l’attention. Ainsi naitra sans doute une envie de faire mieux que l’autre et faire mieux que soi même. Donc envie de progression permanente.

Monsieur R connaissant mieux la chose, par expérience et par vécu, pense peut être que pour l’instant les acteurs du hip hop au bled doivent commencer par se serrer les coudes, avant de se serrer le cou.

Nos MCs du bled veulent aussi vivre les west coast- East Coast et Nord-Sud des USA, ou le fameux Paris-Marseille de la France. Mais au Cameroun on est même en train d’aller si loin, quittant de la guerre d’idéologie, de la guerre des clans, des villes, nous assistons à nos jours à la guerre des quartiers, du style (Boulogne contre Essonne, Orly contre St Denis…). Chaque quartier ayant son icône. Ou allons-nous ? Espérons juste que ce sont des douleurs favorables à de grands enfantements ? Dans le cas contraire c’est mort !…

« L’art vit des contraintes et meurt de liberté » Paul Valéry

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