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Manu Dibango : « Les Rappeurs Kamers m’intéressent… »

Bonjour Manu, bienvenue déjà, à Yaoundé, il faut dire que, vous revenez, et ce n’est pas la première fois pour une série de spectacles, un pur moment de communion pour vous, qui renouez en quelque sorte avec votre public ?

Ça fait plaisir, d’autant plus que c’est la jeune génération qui continue, c’est ce qui est bien, parce qu’il faut qu’il y ait une continuité, si on arrête sur Manu, ce n’est pas bon. Si vous y arrivez, c’est que vous avez au moins suivi ceux qui vous ont fait rêver. Vous savez quand j’étais jeune, en voyant les L. Armstrong, ils me faisaient rêver, je me disais, hééé… est-ce qu’un jour je vais pouvoir monter sur scène (rire). Le rêve de tout artiste, c’est ça, il faut des modèles devant, quoi. J’espère que la route sera longue pour vous, forcement semée d’embuches, mais ça fait parti de la règle du jeu, quoi.

Le public camerounais aura une fois de plus le plaisir de vous voir à travers une série de prestations dans diverses scènes, ce n’est forcement pas le même public que vous retrouverez…

Ah, ben, c’est l’utile à l’agréable, hein. J’ai d’abord fait 02 concerts pour Guinness, avant-hier j’ai joué à Douala, hier soir j’ai joué dans un club, ce soir je joue à Ya-fe, du coup, je rencontre le public qui me connait, et le nouveau public qui me connait pas, qui serait plutôt branché « LA FOUINE » (rire), les X Maleya, avec qui j’ai d’ailleurs collaboré dans le disque, donc pour vous dire qu’il y’a une suite, Chantal Ayissi, Passi et plusieurs autres artistes qui ont participé dans l’album.

Au courant de votre carrière, vous n’avez pas cessez de côtoyer les grands noms de la musique à travers le monde, aujourd’hui vous êtes vous-même une sommité dans le domaine, bien loin des années 60 quand vous décidez de rentrer au Cameroun, un retour qui ne vous a pas réussi. Il a fallu démontrer vos potentialités ailleurs, pour qu’elles soient  véritablement reconnues ici. Et aujourd’hui encore, c’est le cas de plusieurs artistes camerounais, qui pour la plupart, ne reviennent toujours pas. Quel est votre avis à ce sujet, c’est quand même désolant pour un pays comme le nôtre, d’où sont sortis des artistes de renommée mondiale…

Quoi qu’il en soit, cher ami, la vie est une bagarre. Que ce soit ici, que ce soit ailleurs. Bon, la leçon à tirer de cela, c’est que, ce n’est pas parce que vous avez échoué une fois, que vous allez échouer tout le temps. Il faut remettre ça à l’ouvrage, il y’a d’autres pistes, il y’a d’autres chemins, il n’ya pas qu’un chemin unique, si ça ne marche pas là, vous essayez ailleurs, mais ça ne vous empêche pas d’avoir de l’amour pour votre pays, le monde est grand (Rire). Faut relativiser les choses. Alors, si vraiment vous travaillez beaucoup et que vous avez la chance, vous pouvez conquérir le monde, de différentes façons. Ça peut partir d’ici, comme ça peut partir d’ailleurs. Regardez des gens comme Youssou N’Dour ou encore Fela, ils ont conquis le monde à partir de chez eux. Donc, ce n’est pas toujours une malédiction. Peut être qu’il y’a des jeunes qui vont partir d’ici un jour, comme les X Maleya sont entrain de le faire, j’espère qu’ils iront pour longtemps. Tenez, j’ai rencontré déjà Krotal au Benin, il y’a quelques mois, moi-même j’avais emmené les MACASE au Canada, vous voyez, il y’a quand même des va et vient, quoi. Donc, si jamais ça ne marche pas, au départ pour vous, bon ça fait mal, mais il faut surmonter les difficultés. La vie c’est comme ça, c’est la meilleure leçon, le fait que je revienne quelques 40-50ans après, me voilà comme partout, avec un morceau qui a été fait ici, mais a été repris par plus de trente cinq mille personnes, alors l’escapade des années 60, c’est quoi pour moi ? (RIRE)…

Aux oubliettes, on va dire ?

Voilà (rire), vous voyez…

Une fois de plus, vous êtes parmi les vôtres, au pays, quelles sont vos émotions en ce moment, ce n’est pas tous les jours qu’ils ont l’occasion d’être avec vous ?

On est toujours content de venir. Vous savez, moi j’ai une chance terrible, c’est que fils m’a donné deux enfants, je suis grand père…

Félicitation en passant…

… oui à lui surtout (rire). Toujours es- il que je suis un grand parent heureux, et donc, j’ai toujours mon Cameroun pour moi, quoi. Quelque soit l’endroit où je me trouve, j’ai la chance en plus qu’il ne vit pas loin de chez moi à Paris, donc mes petits enfants me renvoient forcement dans mon pays d’origine. Et puis, il y’a de cela un mois et demi, j’étais ici, pour présider un Gala de la mode, pour dire que je viens de temps en temps, pas forcement pour jouer, mais j’ai une présence régulière au Cameroun, et ça me fait du bien de voir le public, et tout, il ne faut pas se mentir, on est toujours très content de revoir les siens.

Mais Manu, on aimerait quand même que vous nous relatiez une anecdote …,  le très célèbre Michael Jackson reprend un de vos titres ? Étiez-vous surexcité ?

Beh, ça c’est passé…, en tout cas, ça ne se passe pas toujours comme on veut. Je vais vous la raconter, la petite histoire. J’avais une très bonne amie, qui se trouvait être une cousine du feu Président Senghor, elle travaillait à l’ONU (L’Organisation Des Nations Unies) à New York et tous les ans, elle m’envoyait  les vœux de là bas ; « bonne année Manu… », Enfin, on correspondait tout le temps, quoi. Il y’a eu une année, je crois que c’est en 1982 ou 1983, alors elle m’envoie un PS, ou elle dit, « Bravo pour votre collaboration avec Michael Jackson… », L’affaire a commencé là. Sur le coup, je me dis, en collaboration, quelle collaboration ? Bon, je me rends à la FNAC, où je cherche le fameux disque qui faisait feu, mais alors vraiment, il était N°1, et tout…, le titre faisait un tabac. J’écoute le morceau, et je me reconnais dedans, mais je ne suis pas crédité. Bon voilà, c’est là où les problèmes ont commencé. Mais en même temps, évidemment, j’étais fier qu’un artiste comme lui, qui aurait pu prendre le morceau d’un Youssou N’Dour, Salif Keita, ait pris le mien.  D’ailleurs tous ces gens qui reprennent des morceaux, prennent souvent en Afrique, parfois chez nous au Cameroun, parce que Shakira a elle aussi reprit du Zangalewa…

On y arrive…

Non, juste pour dire qu’à chaque fois qu’ils piquent des morceaux, c’est curieux, mais c’est au Cameroun qu’ils le font. Ils ne l’ont pas fait qu’avec « Soul Makossa », il y’a James Brown qui a repris du André Marie Talla, bon pour dire que notre style musical leur plait, quoi. En fait, à partir de là, il y’a un double sentiment, être  heureux du fait qu’un Michael Jackson reprenne votre chanson, et puis frustré du fait que vous n’y gagnez pas grand-chose…, les avocats en jeu, tous ces paramètres… Donc il y’a de la joie, mais aussi de la frustration.

Après cet épisode, avez-vous gardé de bons rapports avec Michael ?

Non, non, on ne s’est vu qu’à travers les avocats. Maintenant, il faut dire que la première phase, qui s’est terminée en 1986, on a eu un arrangement quand-même, donc ça veut bien dire qu’il avait piqué le morceau. Mais croyez-moi, il faut tenir le coup avec les avocats, hein, parce que, votre avocat, ne peut pas aller aux Etats Unis, il faut vous adresser à un cabinet américain, et le cabinet américain, lui, protège d’abord les intérêts des américains. Bon, c’est très long, très coûteux, et eux ils comptent souvent sur le fait que, peut-être vous n’avez pas les moyens de continuer le procès. Il y’a tout ça, mais moi j’ai continué, et il y’a eu cette phase  ou on a trouvé un arrangement. Puis, plutard, donc deux ans avant sa mort, il y’a  beaucoup d’autres qui ont repris le morceau, parmi lesquels, Rihanna, et c’est lui qui a donné l’autorisation, et pourtant le procès suit encore son cours. Même mort aujourd’hui, le procès continu.

Donc, vous n’avez rien reçu de Rihanna ?

Non, c’est que, Michael Jackson, bien que le procès ne soit pas fini, s’est approprié le droit de donner les autorisations et le morceau avec. C’est-à-dire, les artistes qui l’ont repris, avaient son accord.

Il faut reconnaitre que les artistes camerounais ont du génie, une inspiration qu’on ne retrouve pas partout, à voir le nombre de reprises de chansons, par ceux qui sont pourtant considérés comme étant les grands de ce monde en matière de musique. Vous pensez, Manu, que les Zangalewa vivraient la même situation, en ce moment ?

Bah, on m’a dit qu’il y’a eu un arrangement, et j’espère qu’il  y’en a eu, ce qui est vrai c’est que tout le monde connait ce morceau quand même, hein, on ne peut pas dire que… en tout cas au Cameroun, nul ne l’ignore, peut-être qu’on ne le connaissait pas à l’extérieur. Là les camerounais se sont rendus compte que l’hymne du mondial est un morceau camerounais. Donc derrière, il y’a quand-même une fierté. Maintenant, légalement… vous savez, on peut être grand artiste et être truand, hein (rire).

Vous avez citez, plus haut, quelques noms d’artistes jeunes, qui vous marquent, en quelque sorte, vous parliez de Krotal, X-Maleya, pensez vous qu’avec eux, l’évolution de notre musique se porte bien ? Pour un patriarche comme vous, la musique camerounaise a-t-elle encore sa place comme avant ?

Biensûr, elle a toujours sa place et l’aura toujours. Il ne faut pas compter sur les autorités pour faire quelque chose. Il faut compter sur soi même. Parce que si on compte  sur eux… voyez par exemple ce qui se passe avec Eto’o, c’est quand même le plus grand footballeur, mais il a des problèmes, donc il ne faut pas compter…, je pense que la meilleure leçon à partir de maintenant, c’est qu’il faut vous mobiliser et laisser ces gens-là de coté. Moi, si je suis arrivé où je suis, est-ce parce que je suis passé par les Ministères ? Jamais. Ils ont une façon de fonctionner, peut-être qu’un jour, vous allez vous rencontrer, j’espère, que chacun fera un pas vers l’autre, pour que ces talents que nous avons dans le pays, puissent éclore, avec un peu plus de facilité, c’est ça mon souhait.

Aujourd’hui, l’univers musical camerounais est à la merci de plusieurs maux, le manque de producteurs, l’ingratitude, la piraterie…

…Non, la piraterie, elle est mondiale. Maintenant c’est aux artistes aussi de faire un pas, c’est-à-dire, d’étudier bien, de travailler, de se mettre en association. Déjà, il y’a beaucoup de confusions ici, quand on dit meilleur artiste camerounais de l’année, par exemple, qu’est ce que ça veut dire ? De quelle catégorie s’agit-il ? C’est un peu ça, il faut mettre tout ça en place, il y’a des chanteurs, des compositeurs, des instrumentalistes. Vous ne pouvez pas dire, le meilleur artiste de l’année sans catégoriser. Un batteur ou un trompettiste peut être le meilleur de l’année, pareil pour un bassiste ou un chanteur. Donc il faut déjà commencer par des choses un peu plus logiques, parce que tout est confondu ici, un chanteur, on l’appelle un musicien beh  non, il est musicien et non chanteur (rire). Il a besoin des musiciens, le chanteur, pour que ça donne.

Quelle image portez-vous au Makossa ou au Bikutsi aujourd’hui ?

Non, moi je ne porte aucune image sur la musique, mais sur des gens qui font des choses. Je crois que les changements se font voir, je remarque par exemple que les nouveaux groupes qui arrivent dans ce pays, ont englobé tous les styles et ça devient intéressant parce qu’à notre époque, ou tu faisais du Bikutsi et tu ne faisais pas du Mangabeu, ou tu faisais du Makossa, et tu ne faisais pas l’Assiko, des trucs dans ce genre. On était séparé, quoi. Mais de plus en plus aujourd’hui, que tu sois issu d’où, tu fais ce qui te plait, tu es du littoral, tu fais du Bikutsi, je veux dire, les artistes ont fini par comprendre que la musique, c’est leur propriété. Donc peu importe ton origine, tu peux faire du Makossa, du Mangabeu… et même les deux pourquoi pas. C’est pour cette raison que les groupes d’aujourd’hui m’intéressent, les rappeurs surtout. Vous remarquez que dans les rythmiques des rappeurs, il y’a un mélange des rythmes du pays, c’est là où on voit les changements. Que ce soient les rappeurs, ou les slameurs, leur background est vraiment représentatif, différent de celui de Youssou N’Dour, par exemple.

Tout en disant la même chose, tout en rappant, en français, derrière quand vous écoutez, vous savez que vous êtes au Cameroun. Voilà, donc, on avance quand-même.

N.B : cette interview a été réalisée avec la collaboration de zomcom.

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