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La longue marche de NWA, de Compton à Hollywood

Quatre voitures de police sont garées devant un cinéma à Paramount, dans la banlieue est de Los Angeles. Pour les habitants de Compton ou de Watts, quartiers pauvres au sud de l’agglomération californienne, cette salle est la plus proche, à dix minutes en voiture. Après une semaine d’intense couverture médiatique, Straight Outta Compton sort enfin le 14 août. Mais le biopic sur l’histoire des NWA, «  le groupe le plus dangereux du monde » comme le clame son affiche, ne peut être projeté dans les quartiers qui l’ont vu naître, faute d’équipements culturels. Alors, ses habitants viennent en famille dans les complexes alentour. Universal Studios a annoncé, la veille, le 13 août, qu’ils rembourseraient les frais pour l’emploi d’agents de sécurité supplémentaires.
Véritable tube de l’été, numéro un au box-office devant Mission : Impossible Rogue Nation pendant plusieurs semaines, le film est sorti dans un contexte tendu aux Etats-Unis. Début août, l’état d’urgence est décrété à Ferguson dans le Missouri, où un jeune homme de 18 ans a été tué dans les manifestations pour commémorer la mort de Michael Brown, mort sous les balles d’un policier, un an plus tôt. Des portiques métalliques accueillent, ce soir-là, les invités. Sur le tapis rouge, les membres du groupe NWA encore en vie (Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren, DJ Yella) – Eazy-E est mort du sida en 1995 –, suivis des acteurs qui les incarnent à l’écran, savent que leur film, rythmé par leur hymne Fuck The Police (« nique la police »), est une caisse de résonance, après les multiples homicides d’Afro-Américains par des policiers.

Coups tordus, coups de pression
Plus loin, près de Compton, les spectateurs latinos et noirs sont plus détendus, rient, entonnent les textes de leur groupe emblématique, qui a imposé, en 1988, les codes du gangsta rap californien face aux pionniers new-yorkais. Même les scènes les plus effrayantes, comme celle où un Blood (membre d’un gang rival, les Bloods) armé monte dans un bus scolaire et menace des ados qui lui ont adressé les signes de ses rivaux (les Crips), les font hurler de rire. Un spectateur, ancien membre de ces fameux gangs, analyse à la sortie : « A l’époque, cela nous arrivait souvent d’être arrêtés par une voiture pleine de mecs armés et que l’on soit obligé de leur dire à quelle clique on appartenait. C’est la routine, ici. » Le public est en revanche silencieux, figé, à chaque fois qu’un personnage est violemment plaqué contre un capot de voiture de police.
A la fin des années 1980, les NWA ont à peine 21 ans de moyenne d’âge, quand ils secouent le puritanisme américain avec leur rap. Ils y racontent sans fioritures leur quotidien à Compton, détaillent le style des dealers, des gangbangers (membres des gangs) et hurlent leur ras-le-bol du harcèlement policier sur un tempo accéléré dans Fuck The Police. Leur compositeur, Dr. Dre, le ralentit vite pour imposer son G-funk (gangsta funk) à la planète entière. En 1989, en pleine tournée, les gangsta rappeurs s’attirent les foudres du FBI, qui les met en demeure de ne pas chanter ce morceau pendant leurs concerts. Au bout d’une heure de film, qui énumère les arrestations abusives subies par les personnages, ils sont à nouveau menottés et tabassés à Detroit (Michigan) lors d’un show. Le scénariste et les producteurs, Dr. Dre et Ice Cube, se sont, en fait, un peu arrangés avec la réalité. Ce ne sera pas la seule fois.
D’après la fiction, les rappeurs sont arrêtés pas la police à l’issue du concert époustouflant au Joe Louis Arena. Dans son livre publié en France en 2007, Gangsta Rap Attitude (Scali), sous-titré Les Impitoyables Mémoires d’un juif blanc devenu le plus grand manager du rap noir de Californie, Jerry Heller, l’agent de NWA, raconte une tout autre version. Le groupe n’a pas été arrêté devant une foule électrisée. Des policiers en civil, joués dans le film par de vrais officiers du département de police de Los Angeles, se sont bien frayés un chemin jusqu’à la scène pour les arrêter, mais leur tourneur a réussi à les faire sortir de la salle avant que la police leur mette la main dessus. Jerry Heller leur avait donné la consigne de rester dans leurs chambres d’hôtel, leur expliquant que «  les flics n’auraient jamais de mandats de perquisition ». Mais les vedettes, sollicitées par leurs groupies, sont descendues à la réception, où la police les attendait, et ont été embarquées.
Véritable plongée dans les débuts du gangsta rap, Straight Outta Compton évoque aussi l’industrie du disque, ses coups tordus, ses coups de pression, sans trop de rapport avec la vraie histoire. Eazy-E n’a, par exemple, jamais été ruiné. Une de ses signatures sur le label Ruthless, Bone-Thugs-N-Harmony, vendait des millions d’albums en 1994, quand le film le montre prêt à se séparer de sa maison. Il n’a pas non plus été tabassé par l’ancien videur et magnat du rap, Suge Knight, pour signer un document qui libère Dr. Dre de son contrat. Le costaud «  l’a juste menacé » de détenir sa mère et son manageur.
« Des menaces de mort »
Le lendemain de la sortie de Straight Outta Compton en salles, les membres de l’Académie des Oscars, intrigués par le succès populaire, sont venus se faire une idée par eux-mêmes au Samuel Goldwyn Theater à Beverly Hills. The Hollywood Reporter, qui pronostique déjà une nomination aux Oscars, s’étonne alors de l’affluence à cette projection, et surtout des applaudissements nourris à la fin de la première scène du film, où Eazy-E, alors dealer, échappe à une intervention de la brigade antidrogue en courant sur les toits de Compton.
Ce soir-là, l’équipe du film, menée par le réalisateur, F. Gary Gray, et le producteur, Ice Cube, fait son numéro de charme : « Notre but, affirme le rappeur, n’était pas d’expliquer dans le détail quand, comment et où, mais pourquoi nous avions écrit ces chansons. Nous ne voulions pas faire un film sur l’histoire du rap, mais montrer une tranche de vie américaine. » Le réalisateur F. Gary Gray, qui a grandi à South Central, rappelle combien le film a été difficile à produire à Compton, « véritable sixième membre du groupe ». « Il a fallu beaucoup de courage aux équipes aussi, renchérit Ice Cube. Nous avions reçu des menaces de mort. »
Dans une communication alors aussi huilée que leurs provocations rapologiques, Ice Cube et Dr. Dre demandent par voie de justice d’être retirés de l’instruction d’un procès qui les accuse de négligence. En janvier, alors qu’ils sont sur le tournage d’une publicité pour le film, Suge Knight, leur ancien rival, furieux du portrait qu’on fait de lui, vient demander des explications au réalisateur. Il est alors renvoyé du tournage par leur technicien de postproduction, Cle Sloan, ancien membre des Bloods lui-même, acteur dans Training Day (2001) et réalisateur de documentaires. Sloan retrouvera Knight quelques minutes plus tard sur le parking d’un fast-food accompagné d’un homme d’affaires local, Terry Carter, et volontaire dans des associations antigangs. Au volant de son 4 × 4, Suge Knight renversera les deux hommes, tuant le second. Il attend d’être jugé pour meurtre et tentative de meurtre.
Deux jours plus tard, Dr. Dre, lui, est contraint de publier un communiqué de presse pour s’excuser auprès de son ancienne petite amie, la chanteuse Michel’le, et d’une journaliste, Dee Barnes, qu’il avait agressées et violentées. Toutes deux s’étaient émues de voir ces agressions passées sous silence dans le long-métrage.
Misogynie
En effet, si le film montre sans ambiguïté la misogynie du groupe pendant les tournées, en insistant lourdement sur une orgie dans une chambre d’hôtel, il tait le passé violent de Dr. Dre avec les femmes. Le producteur, qui venait de sortir un nouvel album, Compton, inspiré du film, après quinze ans de silence musical, annulera toutes ses interviews, et sa venue en France. C’est Ice Cube et deux des acteurs qui répondront aux interrogations du Monde. Sur la misogynie, le producteur dit avoir essayé d’être «  le plus brutalement honnête, de montrer les bons côtés du groupe, les mauvais et les très moches : voilà comment se comporte un groupe − aussi jeune − quand le succès leur tombe dessus aussi vite ».
Quant à sa relation conflictuelle avec Jerry Heller, le manageur du groupe, ami d’Eazy-E, fondateur du label Ruthless, qu’il fait passer pour un escroc dans son film, il reconnaît : « Jerry Heller était notre champion, il nous a toujours défendus devant la police, devant les médias, devant le FBI. Lui et Eazy avaient une relation père-fils, nous ne pouvions pas l’ignorer. Moi, je ne l’aimais pas, parce qu’il a essayé de me faire signer un document sans consulter un avocat. Je ne le hais pas, mais je ne lui pardonnerai pas de m’avoir fait passer pour un antisémite. »
Pourtant, le rappeur, proche un temps de la Nation of Islam, organisation politico-religieuse américaine, consacre dans le film une longue séquence à son morceau d’insultes No Vaseline. Ice Cube s’emporte, s’adressant à Eazy-E : « Tu ne peux pas être de [l’équipe] des Niggas 4 Life avec un juif blanc qui te dicte tes actes. » Dans ses Mémoires publiés en 2007, Jerry Heller rappelle que Juifs et Noirs ont grandi dans les mêmes ghettos aux Etats-Unis. Ice Cube incite, aujourd’hui, les critiques du film à sortir leur propre version de leur histoire. Une suite tirée du livre de Jerry Heller serait la bienvenue.

Stéphanie Binet 
Journaliste au Monde

 

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