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Foumban : Deux rois pour une Royauté.

Ils ne se voient plus, ne se parlent plus depuis seize ans. Et pourtant, ils s’épient consciencieusement, offrant aux habitants de Foumban (Ouest) le spectacle de ce qu’il est permis d’appeler la guerre des Njoya. D’un côté, Ibrahim Mbombo Njoya, 76 ans, dix-neuvième sultan des Bamouns et sénateur du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). De l’autre, Adamou Ndam Njoya, 71 ans, maire de Foumban depuis 1997, président de l’Union démocratique du Cameroun (UDC, opposition). Deux fortes personnalités, les plus importantes du département du Noun, qui tiennent les populations en haleine dans une course à l’échalote où tous les coups sont permis. Et à Foumban, vieille bourgade tout droit sortie des années 1950, les habitants voient double.

Au sultan, le projet de construction d’un nouveau musée du palais destiné à abriter les 12 500 pièces d’art répertoriées par la monarchie. Au maire, l’idée d’un musée municipal. Pas question non plus de se réunir sur les mêmes lieux de prière pour la fin du ramadan : le sultan et ses partisans se retrouvent au mont de la Piété, tandis que l’élu et les siens trustent les jardins de sa résidence. Un centre de santé érigé par l’un, un second par l’autre. Une radio communautaire pour le palais, une autre en construction pour la mairie. Dépenses saugrenues pour une ville qui dispose de très peu de moyens ? Non, d’après Ndam Njoya : "À chacun son budget, même si j’ignore d’où le sultan tire ses ressources", persifle-t-il.

Ce serait risible si tout cela ne générait parfois de vives tensions. Comme ce 1er janvier 2013, lors du "carnaval de Foumban". Ce carnaval a été créé, bien que le maire s’en défende, pour faire contrepoids au Nguon, l’une des attractions phares de la chefferie, qui draine chaque année des milliers de touristes et dont le sultanat s’est approprié la gestion. Ce jour-là donc, l’UDC a prévu de défiler dans les rues la ville. Sollicité pour une autorisation, le sous-préfet, proche du sultan, décide de dévier la procession de son itinéraire habituel. Le maire et ses partisans passent outre, essuyant des jets de pierres et provoquant des échauffourées… Un conseiller municipal est molesté.

Ainsi vit Foumban… Dans un couloir bicéphale où, sommés de choisir leur camp, les Bamouns naviguent d’une extrémité à l’autre, colportant des rumeurs qui alimentent la haine que se vouent les deux hommes.

Être roi à la place du roi

Tout commence en 1991. Adamou Ndam Njoya crée l’UDC avec la bénédiction du roi Seidou Njimoluh. À la mort du monarque, son fils, Ibrahim Mbombo Njoya, qui est membre du bureau politique du RDPC et très proche du président Biya (il a même été pressenti pour prendre la présidence du Sénat en juin dernier), lui succède. Il estime que la mairie doit également lui revenir, mais il est battu aux élections de 1996. "Le chef traditionnel qui ose se jeter dans l’arène politique le fait à ses risques et périls", commente Adamou Ndam Njoya.

Le sultan soupçonne son adversaire, candidat aux trois dernières présidentielles ("Comment Ndam peut-il prétendre gouverner un pays quand son électorat reste cantonné à un seul département ?"), de ­vouloir être roi à la place du roi. En clair, de vouloir prendre sa place. Il l’accuse même d’avoir fait établir un arbre généalogique pour ­accréditer la thèse selon laquelle il peut, en tant que cousin par alliance, prétendre au titre de roi des Bamouns…

Et Mbombo d’ironiser sur la mégalomanie de son cousin, qui lui a déjà valu quelques déboires. Il raconte, amusé, le piège tendu à Ndam Njoya par Ahmadou Ahidjo via Jeune Afrique. Pour débusquer les ambitieux, l’ex-président camerounais avait laissé filtrer une fausse liste de "Premier-ministrables" sur laquelle figurait, entre autres, le nom de Ndam Njoya. Alors que tous les autres pressentis s’étaient empressés d’écrire à Ahidjo pour assurer qu’ils n’étaient en rien responsables de la théorie de Jeune Afrique, le président de l’UDC avait été le seul à s’abstenir, se répandant largement dans la presse, et notamment dans le quotidien français Le Monde. Un péché d’orgueil qu’Ahidjo, par ailleurs très content de sa farce, ne lui avait pas pardonné.

Mbombo Njoya se rappelle aussi que, ministre dans le gouvernement dirigé par le Premier ministre Paul Biya, Ndam Njoya n’avait aucune considération pour ce dernier et n’en référait qu’à Ahidjo. Il revient aussi sur cette année 1992 et "l’insolent refus" de Ndam Njoya de faire alliance avec le gouvernement pour lui permettre d’avoir la majorité absolue à l’Assemblée. "S’il s’était soucié du devenir du Noun, il aurait accepté, contre au moins un portefeuille ministériel."

Balivernes, rétorque Adamou Ndam Njoya. Lui se décrit comme un universitaire et rêve de faire de Foumban la capitale culturelle du Cameroun. Il revendique quelques succès tout en déplorant que son action soit constamment entravée par de basses intrigues. Les traditions, insiste-t-il, il n’a rien contre, et c’est l’arrivée de Mbombo Njoya qui l’a éloigné du Palais. "Et ce aussi longtemps que le sultan n’aura pas réparé le tort qu’il a commis" : le 21 décembre 2006, alors qu’il préparait les fêtes de fin d’année, il avait vu son domicile envahi par une horde d’individus ; une personne avait été tuée. Ndam, qui affirme devoir la vie sauve à la présence des caméras venues immortaliser les préparatifs, y voit une conspiration des autorités traditionnelles et administratives.

Les deux Njoya revendiquent aussi la possibilité de désigner des chefs traditionnels. En quoi Adamou Ndam Njoya, l’élu de la République, est-il concerné ? Parce que, au début des années 1920, les administrateurs coloniaux français ont créé des chefferies pour contrebalancer le pouvoir du sultan. La famille Ndam s’est retrouvée à la tête de l’une des plus grandes, le groupement de Njinka, dont Adamou Ndam Njoya était le chef supérieur jusqu’à son éviction, en 2009, au profit d’un homme soutenu par le sultan. Pour l’universitaire, ce qui pose problème à Foumban, c’est moins le bicéphalisme que le partage des rôles qui en découle. "Certains aimeraient bien qu’on revienne à la conception purement traditionnelle de l’autorité du chef, quand le roi ou le lamido pouvaient tout se permettre. Ce temps-là est révolu : nous sommes en République."

Une dynastie vieille de sept siècles se détériore

La querelle est vieille. Un perfide jeu d’alternance les a conduits à se succéder au gouvernement, l’un étant parfois instrumentalisé pour mieux écraser l’autre. En 1982, Ahidjo renvoie Ndam Njoya du gouvernement et le remplace par Mbombo Njoya. Dans l’imaginaire bamoun, on attribue cette éviction au sultan Seidou Njimoluh, qui aurait intrigué pour placer son fils. Selon la légende, le mal enfoui aussi dans des cendres de querelles entre les parents des protagonistes, qui ont vécu dans la même maison alors qu’ils poursuivaient leurs études en France, compliquerait encore un peu plus leur éventuel rapprochement.

Et les habitants de Foumban dans ce feuilleton ? Résignés, ils observent l’image d’une dynastie vieille de sept siècles se détériorer inexorablement. Les rivalités entre les deux camps ont créé des séparations jusque dans les familles. Il arrive que des frères ne s’adressent plus la parole. "Plus le temps passe, plus le fossé se creuse, empêchant Foumban de se poser en ville qui compte", regrette-t-on dans le Noun. Là-bas, partisan du maire ou du sultan, on envie l’unité affichée par les voisins bamilékés. "Eux au moins savent faire front pour le bien de leur région." Pas les Bamouns, alors même que l’aura dont jouit la chefferie en raison de son histoire aurait dû lui permettre d’attirer davantage de touristes et d’aider à remettre sur pied une région économiquement sinistrée. Les deux Njoya fourbissent encore et toujours leurs armes. En septembre, le camp du sultan a décidé de faire invalider la réélection du maire : une des colistières est soupçonnée d’usurpation d’identité.

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