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Aux Etats-Unis, le militantisme sportif afro-américain bouscule le débat public

En faisant part de sa consternation à l’égard des bavures policières contre des Afro-Américains, Serena Williams emboîte le pas d’un mouvement de contestation qui s’installe dans le sport américain. L’ouverture de la saison de NBA pourrait être le théâtre d’une nouvelle démonstration de colère.
Serena Williams en mode ça pourrait ne pas arriver qu’aux autres. Dans un message publié mardi sur son compte Facebook, la numéro 2 du tennis mondiale s’est indignée contre les récents drames au cours desquels des policiers ont abattu des hommes noirs à Charlotte (Caroline du Nord) et Tulsa (Oklahoma), aux Etats-Unis. «J’ai demandé à mon neveu de 18 ans de me conduire à des rendez-vous pour que je puisse travailler sur mon téléphone portable. Au loin, j’ai vu un policier sur le côté de la route. J’ai rapidement vérifié si mon neveu respectait la limitation de vitesse, écrit-elle. Je me suis souvenue de cette horrible vidéo d’une femme, passagère à l’avant d’une voiture, dont le copain avait été abattu par un policier […] Pourquoi ai-je dû penser à cela en 2016 ? N’avons-nous pas vécu assez de choses, ouvert assez de portes et eu un impact dans la vie de milliards de personnes ? Mais je me suis rendue compte qu’on devait continuer à faire avancer les choses, ce n’est pas jusqu’où on est arrivé qui compte, mais ce qu’il nous reste encore à conquérir. Je me suis demandé aussi pourquoi je ne m’étais pas encore exprimée, je me suis regardée dans un miroir, j’ai pensé à mes neveux, à si j’avais un fils ou des filles. Comme l’a dit Martin Luther King: « Un moment arrive où le silence est une trahison. » Je ne resterai pas silencieuse.»

L’ancienne numéro 1 mondiale n’est pas la première à s’exprimer sur ce sujet. Stephen Curry, l’une des stars de la NBA (National Basket Association), avait déjà fait part la semaine dernière de son exaspération après les événements de Charlotte, la ville où il a grandi. «Je prie pour ma ville, nous méritons mieux que cela», a écrit le joueur le plus en vue des dernières saisons sur son compte Twitter.
Le même jour, l’un des joueurs vedette de l’équipe de football américain de Seattle, Richard Sherman, avait refusé de répondre aux questions des journalistes en conférence de presse, également pour marquer son mécontentement, avant de déclarer : «Ce n’est pas compréhensible que des gens se fassent tuer dans les rues. Je m’investis beaucoup dans le travail social au sein de ma communauté, j’essaie d’aider des gamins à faire de leur mieux et à viser le plus haut possible » et de poursuivre «quand vous dites à un gamin « Si tu as affaire à la police, mets juste tes mains en l’air et obéis à tout ce qu’on te dit »et que malgré tout, il peut se faire tirer dessus, je me dis qu’on vit une période malheureuse».

Le symbole Colin Kaepernick
Ces déclarations embrassent un mouvement de contestation qui ne cesse d’enfler depuis que Colin Kaepernick, le quarterback de l’équipe de football américain des 49ers de San Francisco, a protesté en août contre l’oppression dont est victime la communauté noire, en refusant de se lever pendant l’hymne national lors d’un match. Ce geste qui lui a valu de figurer en une du dernier numéro du magazine Time a provoqué une vive controverse sur le patriotisme et le droit des sportifs professionnels à exprimer des opinions politiques à l’occasion des compétitions. Car aux Etats-Unis, il est risqué de s’attaquer aux symboles de la patrie. Un cadre de la NFL n’a pas tardé à lui tomber dessus en le qualifiant publiquement de traître. Dans le même temps, une vidéo où l’on voit brûler son maillot, floqué du numéro 7, circulait sur les réseaux sociaux.
L’American Legion, la principale association d’anciens combattants, l’a même accusé de manquer de respect aux soldats de l’armée qui « se sacrifient pour défendre la liberté de citoyens comme lui» alors que les syndicats de police ont menacé de ne plus assurer la sécurité des 49ers.

Depuis, son geste, qui s’inscrit dans la lignée du mouvement Black Lives Matter, né dès 2013 en réaction aux violences policières qui s’accumulent depuis quatre ans, a été suivi dans plusieurs stades du pays où des athlètes Afro-Américains s’y sont joints. En témoigne, cette photo montrant Jeremy Lane, joueur des Seahwaks de Seattle, restant assis durant l’hymne national avant un match de NFL (National Football League).
Colin Kaepernick, 28 ans, a expliqué qu’il n’entendait plus «afficher de fierté pour le drapeau d’un pays qui opprime les Noirs et les gens de couleur» et dénoncé l’acquittement systématique des policiers auteurs de bavures. «Il y a des corps dans la rue, et des meurtriers qui ne subissent aucune conséquence, même pas une suspension de salaire. Ce serait de l’égoïsme de ma part de détourner le regard». Pour rappel, les meurtres de ­Michael Brown, 18 ans, à Ferguson (Missouri), en août 2014, et de Tamir Rice, 12 ans, à Cleveland (Ohio), en novembre suivant, sont également restés impunis par la justice qui a toujours ­validé la thèse de la légitime défense.
S’il est devenu un symbole de la lutte contre les violences policières envers les Noirs, le joueur de San Fransisco marche, en réalité, sur les traces d’autres stars du monde du sport américain parmi lesquelles les basketteurs Dwyan Wade, LeBron James et Carmelo Anthony. En juillet, lors d’un appel solennel en ouverture des ESPY Awards, la cérémonie organisée par le groupe audiovisuel ESPN récompensant les meilleurs sportifs de l’année, ces trois vedettes de la NBA ont exhorté les sportifs à faire entendre leur voix après qu’un homme noir a été abattu par la police dans le Minnesota. «Nous ne pouvons pas ignorer la réalité de ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis. Les événements des dernières semaines ont montré l’injustice, le manque de confiance et la colère qui touchent tant d’entre nous», avait déclaré Carmelo Anthony, le meneur de jeu des New York Knicks. En 2015, ce dernier avait déjà exprimé sa colère après la mort de Freddie Gray, Afro-Américain, lors de son arrestation par la police de Baltimore. Le joueur de trente ans, natif de la ville, s’était joint à une marche de protestation après la décision de la justice d’abandonner des poursuites contre les policiers de Baltimore impliqués dans la mort de Freddie Gray.
Preuve que la colère ne décroît pas, d’autres personnalités sportives ont récemment exprimé à leur tour leur soutien au mouvement. Ainsi, le 15 septembre, l’une des cadres de l’équipe féminine de football (soccer), Megan Rapinoe, a elle aussi boycotté l’hymne au début du match contre la Thaïlande à Columbus (Ohio).
Un geste réprimandé par la fédération nationale de soccer qui a réagi via un communiqué: «Représenter notre pays est un privilège. Nous attendons des joueurs et entraîneurs qu’ils se lèvent et honorent le drapeau pendant l’hymne national».

Reprise de la NBA sous tension
Courant septembre, la NBA a débuté des consultations avec les joueurs afin de «mener des actions fortes» alors que doit commencer la nouvelle saison le 25 octobre prochain. «La NBA et l’association des joueurs de NBA travaillent ensemble et ont commencé à développer des mesures significatives pour nous rassembler et parvenir à des actions fortes», a indiqué dans un courrier adressé aux joueurs le patron de la ligue, Adam Silver, ajoutant «nous allons travailler avec vos équipes respectives durant la pré-saison pour recueillir vos opinions et idées». D’ailleurs, à en croire la nouvelle chanson d’Iman Shumpert, joueur des Cavaliers de Cleveland et également rappeur, bon nombre de joueurs de la NBA pourraient protester lors de la première journée de NBA en posant un genou à terre pendant The Star Spangled Banner.
Dernièrement, l’ancien colonel des marines Jeffrey Powers a appelé le public à «changer de chaîne» plutôt que de suivre les matchs de la NBA, tandis que l’un de ses lieutenants, Steve King, a prêté des «sympathies» jihadistes à Colin Kaepernick. En revanche, lundi, un soutien de poids est venu renforcer la dynamique de contestation avec Gregg Popovich, le mythique entraîneur (blanc) des Spurs de San Antonio. Interrogé sur les mesures qu’il prendrait si certains de ses joueurs manifestait leur position pendant l’hymne national, le coach, au passé de militaire (il a fait ses études à l’Air Force Academy), a expliqué qu’il respecterait leur choix. Il estime que «les joueurs sont des citoyens engagés qui sont parfaitement capables de comprendre quelles sont leurs valeurs ou ce qu’il est approprié ou non de faire au sujet de ce qui les touche personnellement».

Simon Blin

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