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Ce jour-là : le 3 novembre 1960, l’indépendantiste camerounais Félix Moumié meurt empoisonné

Le 3 novembre 1960, lorsque l’avion transportant Marthe Moumié se pose sur le tarmac de l’aéroport de Genève, elle croit que son mari est simplement malade. Mais une fois à l’hôpital, la femme du leader camerounais trouve là « quelqu’un qui avait déjà les yeux fermés”.
Deux semaines plus tôt, le 15 octobre 1960 au restaurant le Plat d’Argent, toujours à Genève. Félix Moumié – dirigeant de l’Union des populations du Cameroun (UPC) – dîne aux abords du Lac Léman en compagnie de Jean-Martin Tchaptchet (président de la section France de l’UPC) et un journaliste nommé Claude Bonnet. Ce dernier est censé travailler à l’agence suisse Allpress, un organe connu pour être proche des milieux anticolonialistes – et dont l’UPC a besoin pour médiatiser le combat armé qu’il mène pour l’indépendance réelle du Cameroun.

Moumié a déjà rencontré ce journaliste à première vue sympathique à deux reprises. Une première fois l’année précédente à Accra (où il vit en exil), puis à Genève en compagnie de Tchaptchet. En réalité, Claude Bonnet n’est pas un journaliste mais un ancien militaire français : poilu de la Grande Guerre, résistant et surtout membre du Sdece, le service de documentation extérieure et de contre-espionnage français. Il s’appelle en réalité William Bechtel – alias « Grand Bill » – et il a été choisi pour mener à bien l’opération « homo » (pour « homicide »).

Il fait partie de la Main Rouge, un sous-groupe du Sdece . Son plan est relativement simple : mettre dans le verre de Moumié durant le repas un poison inodore et sans goût, le thallium, censé maquiller l’assassinat en mort par maladie.
Durant le repas dans le restaurant huppé, Bechtel parvient à verser une dose de poison dans le pastis de Moumié, mais ce dernier ne semble pas vouloir boire. Voyant le dîner avancer, et sans doute par peur de louper sa cible, Bechtel introduit alors une nouvelle dose, cette fois-ci dans le verre de vin du leader. Vers la fin du repas, Moumié, qui n’avait jusqu’alors pas touché à ses verres est visiblement assoiffé. Il descend coup sur coup ses deux verres d’alcools. La double dose de poison va être fatale au nationaliste camerounais mais, en accélérant sa mort, elle va dévoiler le stratagème des services français.

Non lieu pour Bechtel

Conduit dès le lendemain à l’hôpital cantonal de Genève, Moumié hurle aux médecins qui le prennent en charge : « On a empoisonné mon verre ! »,se souvient le Dr. Daniel Pometta dans le documentaire Mort à Genève – l’empoisonnement de Félix Moumié, signé Frank Garbaly. Moumié sombre peu après dans un coma profond et décède le 3 novembre. Sa dépouille sera transporté en Guinée-Conakry grâce à l’aide de Sékou Touré.

Bechtel, qui avait réservé son hôtel sous son vrai nom, est très vite recherché. Des traces de thallium ayant été retrouvées dans l’une de ses vestes lors d’une perquisition à son domicile, un mandat d’arrêt international est émis, puis rapidement annulé en France par le Sdece. Arrêté en 1974, en Belgique, puis extradé en Suisse en vue d’un procès, il est libéré sous caution contre 100 000 francs suisses (environ 92 200 euros). En 1980, son procès aboutira finalement à un non lieu.

Outre Bechtel, une seconde personne est – selon les versions – une potentielle complice : une Française aux cheveux bruns nommée Liliane. Proche de Moumié, on la soupçonne d’être également en relation avec le Sdece.

Répression contre l’UPC

Si le Sdece a décidé d’éliminer Moumié, c’est qu’elle mène depuis 1955 une sanglante répression au Cameroun à l’encontre des militants upécistes. L’année 1960 – date de l’indépendances pour plusieurs anciennes colonies françaises – voit la France consolider son pré carré africain, et mettre en place ou sécuriser son cercle d’amis au pouvoir sur le continents. Au Cameroun, c’est Ahmadou Ahidjo que soutient l’Elysée.

Dans les hautes sphères politiques françaises, par l’intermédiaire de Jacques Foccart (le « Monsieur Afrique » de De Gaulle), la décision de supprimer Moumié est envisagée depuis le milieu des années 1950. Ce dernier est secrétaire général de l’UPC depuis 1955, et sa voix commence à porter dans le monde et les milieux anticolonialistes.

Félix Moumié, 35 ans, médecin de formation, est le second leader de l’UPC assassiné par Paris après Ruben Um Nyobé en 1958. Ses successeurs connaîtront le même sort : Osendé Afana en 1966 puis Ernest Ouandié, fusillé par le régime de Ahidjo en 1971.

Par Pierre Houpert
Source: Jeuneafrique.com

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