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Cinéma : « Camp de Thiaroye », d’Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow

Le magazine Jeune Afrique revient sur des œuvres majeures qui font toujours parler d’elles, inspirant le présent. Pleins feux sur le film « Camp de Thiaroye » d’Ousmane Sembène et de Thierno Faty Sow, qui retrace un massacre colonial de la France en 1944.

Quiconque a entendu le son lancinant et métallique de cet harmonica restera longtemps habité par les images atroces qu’il accompagne, celles de mitrailleuses crachant la mort sur des corps affolés et sans défense. Camp de Thiaroye, le film des Sénégalais Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow tourné en 1988, s’achève, après plus de deux heures de tension, dans un déferlement de violence inouï.

Et il fallait bien une fiction de cette ampleur – la musique est signée Ismaël Lô, la photo Smaïl Lakhdar-Hamina – pour donner à voir la réalité du massacre de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944, au cours duquel l’armée française n’hésita pas à ouvrir le feu sur des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de guerre, qui avaient osé réclamer le paiement de leur pécule, de leur prime de démobilisation et de leurs arriérés de solde.

Mais quand sort le film, quarante-quatre ans après les faits, il faut croire que la France ne veut pas vraiment entendre parler de sa responsabilité dans cette tragédie. Comme le rapporte David Murphy dans Sembene. Imagining Alternatives in Film and Fiction, le réalisateur déclarait : « Quand j’ai présenté ce film, Camp de Thiaroye, pour la première fois à Dakar, l’ambassadeur de France a quitté la salle. »

Cette citation, c’est l’historien Martin Mourre qui l’exhume dans le livre qu’il vient de publier, Thiaroye 44, lequel balaie tout le champ mémoriel autour des événements qui firent – selon les chiffres officiels, sans doute sous-estimés – quelque 70 morts.

« Parmi l’ensemble hétérogène des représentations historiques irriguant la société sénégalaise, le film d’Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow, Camp de Thiaroye, qui sort sur les écrans fin 1988, occupe une place singulière.

Plus que les autres œuvres évoquées, c’est cette réalisation qui “revivifie” le souvenir des événements du 1er décembre 1944 au sein d’un large public », écrit Martin Mourre. Pour le chercheur, il s’agit d’analyser l’évolution de la mémoire – au Sénégal essentiellement – autour d’un événement qui n’était autrefois connu que d’une certaine intelligentsia et qui, par la grâce du cinéma, put enfin toucher toutes les couches de la société.

Un succès confisqué ?

Récompensé par un prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 1988 et l’année suivante au Fespaco par le prix Institut des peuples noirs, Camp de Thiaroye prend le temps de façonner ses personnages, africains comme européens, sans anachronisme ni caricature, et démontre une certaine continuité, dans la hiérarchie militaire notamment, entre la pensée vichyste et le système colonial français qui se maintient après la fin du second conflit mondial.

Gêné aux entournures par un long-métrage, le pays des Lumières et des frères Lumière ? Malgré un succès certain au Sénégal et malgré la personnalité de son réalisateur, Camp de Thiaroye n’est sorti dans l’Hexagone qu’en 1998, dans de rares salles d’art et d’essai.

En réalité, le sujet – sur lequel nous reviendrons – continue de prêter à polémique. Dans sa dernière livraison, le magazine XXI consacre ainsi 12 pages aux « Mensonges de Thiaroye », sous la plume de Pat Perna.

Par Nicolas Michel
Source: jeuneafrique.com

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