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D’banj, P-Square… L’Afrique tutoie enfin les grands empires du Show-biz

Confortablement installé dans un fauteuil en cuir, D’banj prend ses aises sur le plateau d’un talk-show nigérian. Tee-shirt frappé du logo de DB Records (la maison de disques qu’il a créée), chaîne en or et lunettes de soleil, D’banj témoigne à 32 ans de son succès international. Mais le jeune homme n’oublie pas pour autant d’où il vient. « C’est au Nigeria que je dois mon succès et mon argent », déclare-t-il. Car si D’banj est l’un des artistes africains les plus célèbres des États-Unis, il lui a fallu commencer par conquérir son propre pays.

En 2002, Dapo Daniel Oyebanjo, de son vrai nom, ressemble à n’importe quel jeune de Lagos, la capitale économique du pays. Frustré, désespéré, il abandonne ses études et part à Londres, en quête d’un avenir meilleur. De retour deux ans plus tard, il crée Mo’Hits avec Don Jazzy, un autre espoir du rap. La collaboration des deux artistes est alors des plus florissantes. 2004 est une année faste, pendant laquelle le Nigeria connaît un boom économique sans précédent.

À cette période, les cours du brut s’envolent sur les marchés internationaux. Et le pays, dont 80 % des recettes reposent sur la production d’or noir, voit son PIB tripler. Laminées par des réformes économiques désastreuses, les classes moyennes reprennent du poil de la bête. Et consomment. L’industrie musicale profite de cette embellie. « Les grosses entreprises ont commencé à investir beaucoup d’argent dans le marketing, explique le rappeur eLDee, fondateur du label Trybe Records. Elles ont eu l’idée d’utiliser la musique pour vendre leurs produits. » Il y a les grosses banques – le pays en compte une vingtaine. Mais aussi les opérateurs de téléphonie mobile, qui se livrent une guerre sans merci sur ce vaste marché de 160 millions d’habitants.

Espoir

Les années 2004 à 2008 correspondent aussi à des bouleversements dans le paysage médiatique. De nouvelles règles imposent un minimum de contenus locaux sur les chaînes de télévision et de radio afin de favoriser la production nationale. La qualité des clips vidéo s’améliore. L’arrivée de MTV Base Africa, diffusée dans 48 pays du continent, va démultiplier l’audience de la nouvelle génération de chanteurs nigérians aux dents longues.

La conjoncture était donc favorable pour un jeune ambitieux comme D’banj. Son premier album, No Long Thing (2005), lui ouvre les portes de la reconnaissance locale, mais aussi continentale : il est nommé meilleur espoir masculin aux Kora Awards. Sept ans plus tard, son hit Oliver Twist (voir le clip ci-dessous) caracole en tête des charts en Grande-Bretagne. Et en décembre 2012, son label DB Records signe un partenariat très avantageux avec RCA Africa (filiale de Sony Entertainment), lui permettant de redistribuer des albums de la maison au Nigeria. Dans l’intervalle, D’banj – sous contrat avec G.O.O.D. Music, le label de la mégastar Kanye West – travaille avec des pointures du rap comme Snoop Dogg.

 Lagos devient un puits de talents où les stars américaines viennent dénicher de nouveaux prodiges. Flavour, Banky W., 2Face Idibia, Wizkid, Weird MC… entrent dans des écuries américaines comme G.O.O.D. Music ou Konvict Muzik, fondé par l’Américano-Sénégalais Akon. Le duo P-Square illustre bien l’engouement continental pour le rap et le R’nB nigérians. Leur tube E No Easy (2012) (voir vidéo ci-dessous)  est resté plusieurs semaines en tête des charts au Nigeria et au Ghana. Sous contrat avec Konvict Muzik, le clip du remix de leur fameux Chop My Money, en featuring avec Akon, a été vu plus de 14 millions de fois sur YouTube. Pour couronner le tout, le succès de leur tournée africaine « Invasion » a été au-delà de leurs espérances. La dernière étape à Kigali en décembre 2012 a fait le plein avec 30 000 spectateurs au stade national Amahoro et, dans les tribunes, le président Paul Kagamé himself. 

Royalties

La prédominance nigériane sur la musique africaine est-elle si surprenante ? D’banj était encore en culottes courtes quand Island Records, le label de Bob Marley, venait dénicher des talents au Nigeria. À l’instar de King Sunny Adé, dont l’album Juju Music (1982) a été l’un des premiers à incarner le phénomène afro-pop. Puis d’Ebenezer Obey, Sonny Okosun, Majek Fashek… et bien sûr du plus endurant – et créatif : Fela Anikulapo Kuti, le « père » de l’afrobeat, classé en 2006 parmi les héros du siècle par Time Magazine, aux côtés de Nelson Mandela, Pablo Picasso, Jean-Paul II et des Beatles.

L’accès à internet a par ailleurs contribué à changer les habitudes de consommation musicale. Pour Obi Asika, organisateur de la Social Media Week de Lagos, le marché de la musique mobile (téléchargements, sonneries, streaming) « a largement dépassé les 300 millions de dollars en 2012 ». Aujourd’hui, les opérateurs de téléphonie mobile contrôlent ce qui a longtemps été le monopole des « marketeurs », un cartel très important vivant du piratage. En 2000, les artistes les ont convaincus de payer un montant forfaitaire pour distribuer leurs albums. Une reconnaissance de l’immense pouvoir des cartels, mais aussi une manoeuvre efficace pour ne pas tout perdre. Car la société des droits d’auteur récolte désormais des bénéfices substantiels pour ses membres : 600 000 dollars de royalties en 2012 pour les artistes nigérians.

2013 sera-t-elle l’année où le hip-hop nigérian franchira le point de non-retour dans sa conquête internationale ? Une chose est sûre, la Grande-Bretagne, ex-pays colonisateur du Nigeria, jouera un rôle primordial dans cette ascension. « Le seul artiste qui dame le pion aux Nigérians en Grande-Bretagne, c’est Tinie Tempah, ironise Obi Asika. Et d’ailleurs, Tempah est nigérian… » 

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