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Jean-Pierre Bekolo : « Les Camerounais doivent s’habituer à quelque chose de différent »

Sur quoi comptez-vous en faisant un film pareil?

Je ne pars pas d’une démarche rationnelle. Pour qu’un film naisse, il y a beaucoup d’iddées qui viennent, qui partent et à la fin une seule reste. Rien d’autre ne m’a guidé. En tant qu’intellectuel et artiste, je suis en quête de la vérité. La peur n’a pas a place à ce niveau. C’est quelque chose de spirituel et c’est même l’essence de la religion. Je suis souvent choqué de voir que beaucoup de camerounais ont renoncé à la vérité, alors qu’ils continuent à se rendre le dimanche à l’eglise et le vendredi à la mosquée. Je suis monteur de formation. Et lorsque je travaille, il y a un rythme. Un rythme que tu sens, dont tu peux dire s’il est vrai ou faux. Pour en revenir aux sujets de films, ils vous choisissent plutôt que vous ne les choisissez.

Sur la fin du régime Biya, vous partez donc sur un souci artistique, politique ou philosophique?

Mon souci était cinématographique. Le septième art est comme la radiologie en médecine. On fait le scanner d’un corps pour voir dans quel état il se trouve. Le cinéma pour ainsi dire, scanne la société. Et lorsqu’on l’a fait, la fonction du cinéma s’arrête. Un médecin, après avoir vu les résultats, sait de quoi le patient souffre et peut prescrire un traitement. C’est un soulagement, y compris pour le malade lui même. C’est la fonction thérapeutique du cinéma. Il permet de donner un sens á tout ce non-sens. Dans le cas du sujet que j’ai traité, on voit la maladie dont souffrent les camerounais, elle est facile à identifier. Un être humain qui ne peut pas se projeter dans l’avenir est un malade. Le fait que les Camerounais s’accordent à penser qu’on ne peut pas penser à l’après Biya fait d’eux des malades. Nous devenons des monstres! Pour des raisons de santé mentale, il faut ouvrir ces soupapes. Le cinéma a cette fonction de transfert qui permet de gérer tout cela.

Soyons plus concrets…

On a ici au pays deux expressions typiques qui traduisent notre obsession pour le présent. “Finis avec moi! “  Et “là là là!“ Toutes les attitudes sociales sont dictées par ces injonctions de l’urgence. Le petit fonctionnaire, pour rendre un service, souhaite qu’on lui trouve rapidement son billet de banque. Idem pour le haut responsable de l’Etat, qui, très rapidement veut “finir“ avec le budget en sa possession. Le technicien veut son argent “là là là!“ On est devenu des gens de l’instant présent. Évidemment, avec tous les dégâts que cela entraîne. Peut-on bâtir du solide avec cette dictature de l’immédiat? Le cinéma est ne étude des comportements. On a face à nos caméras des êtres à trois dimensions: valeurs, comportements et environnements. Ces trois doivent être en phase. Je peux ainsi voir toutes les incohérences que l’on rencontre chez les camerounais.

N’est-ce pas l’histoire de Mobutu Roi du Zaire que vous essayez de raconter?

Non. Le film de Thierry Michel vient après, quand tout est fini. C’est ce que j’ai voulu éviter. Pourquoi le cinéma vient toujours quand tout est terminé? Il doit pouvoir accompagner, comme la presse, qui accompagne, dans d’autres contextes, les processus de changement. Le cinéma doit être visionnaire. Sinon, on vient nous raconter ce que tout le monde sait déjà. Je suis adepte de l“’afrofuturisme“. J’aime l’avenir, la projection dans le futur. Car l’avenir sera là, avec ou sans nous.

Vous terminez sur une note plutôt optimiste, avec une femme qui devient président de la République, et qui tient un discours apaisant et fraternel. Pourquoi?

Je me suis dit qu’il faudrait que les camerounais s’habituent à quelque chose de différent. Il ne faudra pas que tout le monde perde le nord lorsque Paul Biya ne sera plus là un jour. L’ambiance qui règne actuellement au Cameroun où chacun est dans un retranchement en attendant que ça pète m’inquiète. Personne ne tend la main à l’autre. Il faut qu’on s’habitue à la différence. Jeune, pourquoi pas? Femme, pourquoi pas? Nous poursuivons toujours une option de la politique insufflée du colonisateur. Il faut commencer à présenter les choses qu’il faut changer. Personnellement, je souhaite que ça se passe bien.

Comment faire pour voir ce film?

Normalement, le travail du cinéaste est fini lorsque le film est sorti. Le film ne m’appartient plus Mon souhait est que tous s’approprient ce film. Ce n’est pas un produit économique même si aujourd’hui tout le monde veut le voir. Je suis parti du principe qu’il existe une certaine liberté d’expression au Cameroun: je suis assez surpris que les gens parlent de ce film au ministère de la culture, à la présidence de la République etc. Mais personne n’a demandé à le voir. On ne peut pas se contenter de “commenter les commentaires“, comme dirait quelqu’un.

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