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Sur la politique : ce que Longué Longué n’avait pas comprit.

Il avait encore fait preuve de cette attitude, dans sa musique « ayo africa » qui a connu le succès comme la plupart de ces chansons. Ce que l’artiste révèle et relève dans cette chanson bien que ce ne soit pas un secret de polichinelle, est à prendre très au sérieux. Parce que nous sommes dans un contexte socio-culturel et même un système politique où tu ne doit être invité au banquet que si tu sais tenir ta langue loin dans la poche, où on colore ceux qui ne savent que dire oui chef, et mène à la déroute ceux qui interrogent et mettent le doigt là où ça fait mal. Dans cette atmosphère donc hostile à l’hérésie et aux avant-gardistes qu’on traite abusivement de subversifs, que ce soit dans l’art ou la politique, Longué Longué a su, malgré les inquiétudes et les intimidations garder d’une manière imperturbable les yeux fixés sur sa digne ligne éditoriale : la dénonciation. Mais pas une dénonciation servile, gratuite, donc une dénonciation pour la dénonciation, mais une dénonciation constructive voir même constructiviste.

Le sujet qu’il aborde dans « ayo africa » est louable, et mérite encore de nos jours d’être traité a cause de sa complexité et de sa perpétuité : le rapport Nord/ Sud, tributaire des rapports civilisés/sauvages, Maitres/ esclaves, Colon/Colonisés… ce n’est pas peu dire pour l’artiste de relever que de nos jours encore on assiste a une survie et une continuité du vieux « pacte colonial » qui laisse à désirer. Un pacte qui fait des pays anciennement colonisés des fournisseurs de matières premières, d’assistés, de mains d’œuvres, et des pays du Nord à contrario des pourvoyeurs des matières manufacturés, des « bailleurs de fond » (voir le discours de Sankara sur la dette) et des ingénieurs. Le Congo travaille la Belgique mange, pareille pour le Cameroun et la France, l’Angola et le Portugal…pour l’auteur de « ayo africa », c’est un mal pour l’Afrique de voir comment elle est à la merci des autres et n’ose lever le petit doigt pour changer la donne. Ce qui est encore incompréhensible pour l’auteur c’est de voir la manière avec laquelle tout le monde se mêle et veut se mêler de la politique en Afrique et en particulier au Cameroun. Pour lui tout le monde veut parler et parle de politique. Que ce soit le vendeur à la sauvette, la « bayam sellam », le taximan, le pasteur à l’Eglise, les footballeurs, les jeunes…et même s’étonne t’il que ceux qui ne savent même pas parler français, donc des analphabètes selon lui, se plaisent et se complaisent à parler de la politique.

Beaucoup l’ont applaudi et encensé pour cette prouesse et cette originalité dans l’observation. Mais avec du recul et un peu de distanciation propre à tout observateur avisé, il est clair de remarquer que Longué Longué était tout simplement passé à côté de la plaque. Et si ses idées ont été si bien reçues chez l’opinion camerounaise, c’est pour la simple raison que nous avons un niveau assez bas en ce qui concerne les questions de culture politique. Pour la simple et bonne raison que toutes les instances de socialisation ont transféré leurs responsabilités entre les mains de je ne connais quel monstre qui n’ose montrer son visage.

C’est une erreur criarde pour Longué Longué de penser et de s’obstiner à croire que pour que les choses puissent bien fonctionner dans une cité il faut que les non-politiques se désintéressent de la chose politique. Ceci est une thèse vielle de 2500 ans. Car Socrate lui aussi l’avait pensé, mais il parlait plutôt du danger que courait le particulier à faire de la politique, pour raison selon laquelle « le pouvoir corrompt » et qu’ « on ne peut pas faire de la politique sans se salir les mains ». Mais le faisant il parlait de la politique, respectait les lois, allait voter…donc participait à la chose politique. Longué Longué est ici en train d’entériner et de valider, peut être sans le savoir, la thèse selon laquelle « il faut laisser la politique aux politiciens ». En interdisant aux taximans, aux bayam sellam et aux hommes d’église de parler de la politique, ou alors de s’y désintéresser. Il oublie que l’Eglise à toujours été la fille jumelle, voir même la sœur siamoise de la politique, et ce n’est qu’en 1905 qu’en France on a décidé de les séparer. L’Eglise est depuis lors une instance de socialisation aussi bien que les lions indomptables en tant que groupe. Donc chacun participe à son niveau à l’éducation à la chose politique.

Ceci doit même être un bon indicateur d’évolution sociale que tout le monde ou presque, parle de la politique. Parce que les socio-politologues sont tous d’accord sur le fait que : « les affaires politiques sont des affaires de tout le monde, et les affaires de tout le monde sont des affaires politiques ». L’homme est un animal politique ceci est indubitable. Et rien de ce qui est politique, de la « polis » donc de la cité, ne doit lui être étranger. Il doit s’interroger sur tout, même sur le pouvoir qui par définition est sacré, mystique et insondable. C’est le droit le plus absolu du citoyen quelque soit le rang qu’il occupe au sein de la société. Et participer à la chose politique est un devoir, et il est même passible d’une sanction négative dans la mesure où il ne la remplie pas. Voter, lire les journaux, militer dans un parti politique, donner son avis sur la politique…relèvent de la participation politique.

Longué Longué est étonné de voir la manière avec laquelle même « l’analphabète », celui qui ne connait pas parler français, s’en sors quand même quand il s’agit de parler de politique. Il oublie que comme l’a si bien théorisé le socio-politogue Bertolt Brecht, que celui ci même est le plus instruit de tous les citoyens, puisque politiquement cultivé. Il appelle le citoyen que Longué Longué prône, donc celui qui ne parle pas de politique : « d’analphabète politique ». Et selon cet auteur, le pire des analphabètes est l’analphabète politique, et il oublie et ignore que le prix du carburant qui augmente, les prix de la boite d’arachide, le pris des factures…sont le produits directs de son analphabétisme politique. Ce citoyen ignore que son bulletin de vote peut changer le destin de son pays, et que sa voix aussi peut portante soit ‘elle peut sauver plus d’un. A-politique ne voudrait donc pas dire celui qui ne se mêle pas de la politique, mais celui qui ne connait rien de la politique, celui qui fait de la politique sans le savoir. Péricles, le père de la démocratie l’appelait : « le citoyen inutile », il ne sert à rien à la société.

Beaucoup se croient libres quand ils disent qu’ils ne s’intéressent pas à la politique, ils oublient qu’ils sont là en train de transférer leur liberté à d’autres qui en feront ce qu’ils voudront. Ils ignorent qu’ils sont là en train de faire de la politique sans le savoir. Parce qu’en politique même le silence est un engagement. Parce que la politique nait du désaccord qu’il existe entre la manière avec laquelle l’Etat se gère et les besoins des citoyens. Le fait politique lui nait, selon les thèses de Weber, du rapport de force qui existe entre les gouvernants et les gouvernés. Relevant de l’obéissance et de la désobéissance. Il faudrait donc s’interroger de ce qui a pu conduire et à l’un et à l’autre de ces deux attitudes. Donc ce que Longué Longué doit comprendre aujourd’hui dans le cachot de son désespoir, lui et les autres camerounais, c’est que nous faisons tous de la politique, et que tout est politique. De la plus petite cellule de la société qui est la famille au plus haut sommet de l’Etat. Donc puisque nous le faisons le plus souvent sans le savoir, il est temps de s’en rendre compte et de la faire désormais de manière efficace.

Ne confondons pas les deux définitions qui incluent la notion de politique : car il y’a la politique comme bataille politique pour le pouvoir, et politique comme le fait de gérer les affaires de la cité. Et dans l’un ou dans l’autre nous sommes tous impliqués. Chaque fois que nous essayons de réfléchir, de donner notre avis sur la manière avec laquelle le pouvoir est géré, de lire les journaux, de voir le journal, d’aller voter, de participer aux meetings, aux marches…nous faisons de la politique. Il est donc inconcevable de dire de nos jours qu’il faut laisser « politique aux politiciens ». On ne laissera rien à personne et personne à rien du tout. Ni la politique aux politiciens, ni les affaires aux bamilékés, ni les lions indomptables aux sawas, ni l’élevage aux nordistes, ni le pouvoir aux centre-sud, ni la femme au foyer, ni l’Eglise au clergé…parce que comme nous l’enseigne la thèse structuraliste la société fonctionne comme une organisme ou une structure, si bien que l’absence d’un seul élément de la structure pourrait inévitablement compromettre l’équilibre total. Alors Libérez Longué Longué pour qu’il vienne rectifier le tir, peut être lui on le comprendra mieux. Car lui, il suffit de l’écouter, moi, il faut prendre la peine de me lire.

« On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique ? je réponds que non, et c’est pour cela que j’écris sur la politique. Si j’étais prince ou législateur, je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu’il faut faire ; je le ferais, ou je me tairais » Rousseau, Du contrat social, GF, 1966, p. 39

By TATLA MBETBO Félix, dans la capitale, 22 Aout 2012

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