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Echec et Mat

A Koli, les voisins se connaissent tous. En face de chez nous, la famille Wari : le père a sa propre entreprise de construction, la mère dans une entreprise concurrente de la place, et les enfants vont dans le même collège que moi, la famille exemplaire vous direz. Un peu plus loin, les Bikouta, la famille sportive par excellence. Du grand-père au dernier fils de la famille, le basket est reconnu comme le Roi des Bikuta. Bien sur il y  a d’autres familles, je vous en parlerai surement plus tard, quoique je ne côtoie vraiment que ces deux-là. Koli regorge de familles modèles qui compétissent pour le prix de la famille parfaite. Il est tout de même beau, mon quartier. Maisons colorées et assez larges pour abriter en moyenne 10 habitants, routes « goudronnées » par endroits, un bar à tous les 150 mètres, des boutiques (entendez par la, pour vous autres qui ne savez pas ce que c’est, quatre murs montes sommairement, contenant les  vivres basiques comme pain, sucre, boissons, huile et autres destines a la consommation rapide et fréquente par les habitants du quartier), des cordonniers, une ou deux espèces de boulangeries et des restaurants, communément appelés tournedos, pour la simple raison qu’on ne voit que le dos des clients qui y consomment.

Et puis il y a cette ambiance à Koli, un mélange de quartier chic et de quartier chaud pour mon plus grand bonheur. C’est le fief des embrouilles, des prétentions et mascarades et surtout de la décence humaine, du moins c’est ce qui se dit. Je me rends au Collège de Koli. Tout le long du court chemin, des pensées affluent dans ma tête et je me demande si je dois vraiment y aller. Des dizaines d’ensembles roses et marron me rattrapent et me dépassent. Je me tiens devant le portail du collège, les yeux rivés vers le ciel qui s’assombrit lentement.

–      Jade ! J-D ! J-D ! Qu’est ce que tu fous devant le portail ? Rentre, il va pleuvoir !

C’est la voix de Linda, famille Bikouta. Une belle fille grande et svelte, dont le visage s’illumine à chaque fois qu’elle sourie. Linda termine toujours ses dires par son sourire, comme on termine une phrase par un point. Je la regarde agiter sa main en ma direction et je prie fort qu’elle s’arrête et continue de s’enfoncer dans le couloir jusqu’à ce que je ne puisse plus voir sa taille. C’est ce qu’elle fit. Mes prières ont été exaucées, Dieu m’a entendu, ou me comprend ou à un autre dessein pour moi, mais surement pas de classe pour moi aujourd’hui. Les portes du collège se referment devant moi et un sourire se forme aussitôt sur mes lèvres. Je dois partir.

Mes pas me ramènent à la maison. J’avais pourtant décidé de passer une bonne journée en me levant ce matin. La maison est tout simplement synonyme de tristesse, y retourner c’est carrément un supplice pour moi. N’eut été l’amour que je porte à ma mère, je pense  honnêtement que je n’y serai plus. Ma mère est dans la cuisine, occupée à faire le diner pour sa petite famille. Elle ne m’entends pas, alors je me dirige tranquillement vers ma chambre, histoire de me plonger dans mon monde à moi. Mais à peine assise sur mon lit, je me demande une fois de plus pourquoi je suis là. Je suis en mode moi, Jade-Didanée : mes écouteurs aux oreilles, une seule chanson au choix en boucle, des pensées et des rêves qui se bousculent gaiement, un rictus aux lèvres, les mains croisées sur ma poitrine. Me voilà partie hors de la maison, hors de Kali. Mes yeux se ferment et deviennent lourd, ca y est, je suis partie.

–      Non ! Non ! Ne fais pas ca, je t’en supplie, s’il te plait!

Dans mon monde, il y a  une nouvelle âme, une nouvelle voix qui me semble familière et qui semble pleurer. Et elle continue de supplier, je l’entends de plus en plus fort dans ma tête. Et soudain, un cri strident me ramène à la maison, à Kali. C’est la voix, celle de ma mère dans la cuisine. Je me lève en trombe, sans me poser de questions, et au sortir de ma chambre, me voilà face à une scène familière de ma maison. Ma mère, étendue sur le sol, et mon père au-dessus d’elle, lui offrant autant de gifles que la vitesse de ses mains ne lui permet. De temps à autres, des coups de poings se perdent sur les joues de la dame. Ses jambes se recroquevillent, ses bras essayent de stopper les coups, mais ils finissent toujours par arriver à bon port. Déjà, le visage de la dame se déforme, ses bras lâchent ; l’homme quant à lui, tape et cogne fort, crie et rie en même temps, en se concentrant de plus en plus sur sa proie, ne voyant rien d’autres autour de lui.

Dans mon monde, cette femme est reine. Dans mon monde, JE DÉCIDE.  Les ustensiles de cuisine de ma mère sont au sol, la marmite est hors du feu. Les flammes bleues de la gazinière sont vives, prêtes à bruler. En les regardant, mes yeux brillent de ce bleu, puis virent au jaune. L’homme est toujours occupé à sa basse besogne, les cris ont été remplacés par des onomatopées vaines. Je me dirige désormais vers lui, levant la main armée d’une fourchette. Mes yeux s’embuent alors de larmes, je ne comprends pas ce qui se passe en moi. La main levée je continue de regarder le spectacle, immobile, puis je baisse la main.  L’homme me regarde et ricane ; il me demande ce que je compte faire de ma fourchette avant de distribuer une énième gifle à ma mère, qui ne réagit plus désormais. Plus de sons en sourdine, juste son corps allongé au sol, et qui se présente désormais a tous les supplices, comme consentante. Je tiens une de ces mains fermement dans la mienne, et face à moi le physique imposant de l’homme, un air stupide et imbécile sur le visage. On se regarde, se fixant intensément dans le creux des pupilles. Il semble dire des phrases, mais je ne les entends pas ; ses lèvres ne cessent de remuer, l’ai stupide de son visage mue rapidement du narquois fier à la mine apeurée, on aurait dit qu’il suppliait lui aussi a son tour. Mais supplier qui ? La dame allongée est inerte, et moi je le regarde. A la différence que je ne fais plus que regarder, mon regard s’est intensifié de cet amour déçu que l’on a senti grandir en nous, mon bras s’est à nouveau levé, la fourchette menaçante sur la poitrine de l’homme en face de moi. Dans mon monde, je décide.

Je suis au-dessus de lui, je l’observe, il ne bouge pas. Sa chemise rose rougit, ses yeux continuent de me fixer. La main à la fourchette est restée en l’air. Mon cœur reprend calmement son rythme normal. Dans mon monde, cet homme n’existe pas, ma mère en est la reine. Dans mon monde, tout est en noir et blanc. Au jeu d’échec, le Roi a cru avoir gagné, pourtant la Reine est restee joueuese, juasqu’au bout. Une partie n’est vaincue que lorque le jeu est completement fini. Je l’ai vaincu : Echec et mat.

Il est temps de vivre en couleur, dans mon monde. Allons-y, viens….

plus d’infos https://www.facebook.com/notes/encre-noire-et-femme/echec-et-mat/402414143110659

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