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Monsieur Charles est mort pour rien !

S’il a existé un principe marchand dans cette mort, ce serait uniquement à un niveau individuel : il a simplement payé son tribu à la nature. Il est mort comme il a été prévu pour un homme de mourir, pour un animal que quitter la terre, qu’il soit social ou pas. C’est vrai que certains animaux meurent à la chasse, meurent par piège, meurent par raticide. Mais plusieurs animaux meurent aussi comme le loup de Vigny : sans gémir et parler. Comme pour dire que monsieur Charles est mort véritablement de mort naturelle. Mais nous avançons là des arguments que le vulgum pecus semble ne pas percevoir du même angle. Pour ce dernier, monsieur Charles a été tout simplement liquidé par les réseaux sur lesquels il tirait à boulets rouges à longueur d’émissions télés et radios. Jusques à quand continuerons nous d’expliquer les choses qui nous arrivent -et surtout la mort- avec des arguments dépassants parfois et toujours l’entendement ? Dans qu’elle société sommes- nous, où on n’explique jamais rien avec objectivité, où le sensationnel prend le dessus sur le rationnel, où le scientifique est mis au ban au bon gré du métaphysique ?  Le bien ou le mal qui nous arrive est toujours tributaire de l’intervention de tel ancêtre ou de telle force extérieure au sujet. C’est malheureusement dans ce type de société, où la masse sociale manifeste d’un niveau assez bas de culture politique et scientifique, que Charles Atéba Eyéné a émergé comme « leader d’opinion ».  

Mais pourquoi Charles Atéba Eyéné est’ il né ? Vu tout ce qu’il a eu à faire, on ne peut pas dire que c’était juste pour mourir ! Mais bon, la question est là : pourquoi est’ il mort ? Malheureusement pour rien. Nietzsche pensait avec raison que « certains naissent posthume » (Ecce Homo : 1992). Entendons par là que leur actualité et leur popularité vont sans cesse grandissantes avec le mourir, ce qui n’était pas le cas de leur vivant. Le cas typique ici est celui de Malcom X, qui de son vivant ne bénéficiait pas d’une grande audience comme MLK. Mais des années après sa mort, cinquante années après, sa popularité ne cesse d’être croissante et imposante dans le cœur et l’esprit des citoyens du monde. Chose pareille pour des icônes comme Mandela, qui après leur mort ne cessent d’être présents dans les cœurs, les rues, les places publiques, les biographies…Des intellectuels comme Cheikh Anta Diop meurent pour donner vie à leurs idées et enseignements et bénéficient d’une attention et d’une curiosité scientifique particulières. D’autres figures comme Mongo Béti meurent avant de pouvoir bénéficier d’une médaille aussi factice que celle de Méka. Mais dans ce cas de figure, celui d’Atéba Eyéné, sa mort aura été une mort presque banale. Elle aura crée de l’évènement à son annonce, mais quelques jours plus tard, elle aura été effacée de la mémoire collective. Comme la plupart de nos morts.  

Nous créons une certaine promiscuité entre Atéba Eyéné, Cheikh Anta Diop, Mandela et Malcom X, pour des raisons indépendantes de notre volonté. Car Malgré le fait qu’il n’a pas été mort comme un martyr, sa mort l’aura présenté comme un héros. Rien ne doit nous étonner ici, car nous évoluons dans une société qu’on refuse d’enseigner et qui refuse elle-même de s’enseigner, de se former, de s’informer, de se cultiver. C’est cette médiocrité bigarrée qui l’incline à prendre avec facilité des dos d’ânes pour des montagnes, et des bêlements pour des cris de guerre comme Don Quichotte. Charles Atéba Eyéné aura été un « héros » et un « martyr » pour la simple raison qu’il faisait et disait ce qui ne se faisait ni se disait d’habitude. Ce type de société, est le style qu’on a socialisé à la peur permanente, et à la quête inlassable de l’ignorance. Pour Kamto nous vivons dans une ère d’unanimisme, de la pensée unique. Où le vrai est pris pour le faux parce qu’il dérange, où le faux s’accoutre de véracité parce qu’il assure la quiétude de ceux qui sont assis confortablement sur la mangeoire. C’est dans ce terreau « d’analphabétisme politique » qu’a vécu et est mort Charles Atéba Eyéné. Cet homme selon ses propos, « lisait » beaucoup et il était bien courageux. Il nous sert peut-être à comprendre comme le théorisait Hannah Arendt, qu’il y’a que des notions pour nous aider à accéder au rang de citoyen, ou encore de « citoyen comme les autres » selon Mbembe. Il y’a le courage (andreia) et la parole (le logos) : conjointement, le courage de faire usage de la parole. Et dans ce type de société où on assiste parfois à une « dénégation de la parole », le courageux est celui qui l’arrache, en fait usage et la donne aux autres, comme Prométhée arrachait le feu aux dieux. Il nous aide aussi à comprendre qu’ « il ne pourrait avoir de développement pour celui qui vit sous le règne de la peur et de l’ignorance » (Biya : 1987). Mais la question reste en suspens : est-ce que la mort de monsieur Charles rendra les camerounais plus courageux, et plus à même d’utilisé la parole en public ? Est-ce que sa mort transformera t’elle de simples sujets du politique et de l’opinion par des acteurs de la chose politique ?

Même s’il « décrivait » plus qu’il n’ « écrivait », nous louons monsieur Charles pour sa facilité à trop parler et à trop écrire. Mais nous le plaignons parce qu’il avait tendance à trop écrire comme il parlait. Or en écriture, il ne faut jamais écrire comme on parle. Car nonobstant le fait qu’on sait très bien parler, on écrira toujours mal. Atéba Eyéné n’est pas mort comme certains afin de donner vie à son existence. Mais il est mort comme plusieurs, pour être enterré, encore plus dans les mémoires individuelles et collectives, que deux mètres sous terre. Peut être nous ignorons que sa mort servira à enfermer de plus en plus les camerounais dans leur coquille, et à accroitre l’idée selon laquelle nous vivons dans une société où le système mis sur pied décide de qui doit parler et qui doit se taire ! Sa mort servira peut être au culte des ancêtres, aux adorateurs des crânes et aux trafiquants d’ossements humains. Elle aura quand même servi à quelques journaux de bien écouler leurs numéros, à certains anonymes tapis dans l’ombre de se faire éblouir par les cameras.

D’autres diront que les meilleurs partent en premier. Mais le fait que ce dernier soit mort assez jeune ne le rend par ipso facto meilleur que les autres. Le fait que l’anthropologie culturelle africaine interdise qu’on parle mal des morts ne le rend pas irréprochable. Il meurt après des morts comme Mongo Béti, Ferdinand Oyono et Puis Njawé et il laisse sur terre des vivants comme Njoh Mouellé, Maurice Kamto et Owona Nguini. Pour dire que cette mort va malheureusement s’effacer des consciences qui ont été longtemps masturbées par ses interminables sorties médiatiques. Il laisse une énorme littérature, entre les mains des camerounais qui n’ont rien à voir avec la lecture. Il laisse de nombreuses problématiques restées superflues de son vivant, qu’il traitait lui-même avec superficialité et qui risquerons de ne point bénéficier de recherches approfondies. C’est vrai qu’il meurt aussi dans une société où les hommes sont plus utiles de leur mort que de leur vivant. Mais c’est aussi une société où on a politisé les gens à se moquer des morts. Kamto a raison de dire que : « nous n’avons que des morts inutiles », des morts qui ne serviront jamais d’humus à une terre hostile à toute germination. Mbembé pense à son tour qu’en colonie, et malheureusement dans nos sociétés postcoloniales, le corps du colonisé est, dans sa profanité, « assimilé au reste des choses ». Son cadavre reste posé sur terre dans une sorte de rigidité inébranlable, masse matérielle et simple objet inerte, condamné dans la position de « ce qui est là pour rien ».

Les camerounais prennent de plus en plus conscience que monsieur Charles ne servait pas à trop de choses. Que malgré tout son courage à décrier les malheurs de la société, il les empirait plus qu’il ne les « éradiquait » comme on le prétendait. Ils se rendent compte que ce qu’il disait, en réalité tout le monde pouvait le dire, tout ce qu’il écrivait tout le monde pouvait l’écrire, mais…Dans une société où l’esprit critique a été mis en congés pour trois décennies, quelqu’un comme Charles Atéba Eyéné ne pouvait pas servir à quelque chose. Ce type décrir-vain, ne pouvait servir que dans une société où le « savoir-naïf » a laissé place à une « masse critique » en activité. Car ce que disait monsieur Charles ne servait qu’à être remis en cause, ou à être approfondies. Pareil à ce que Bachelard demandait de faire avec l’opinion. Or, monsieur Charles ne cessait de faire corps avec l’opinion, qui n’existe en réalité que pour être dépassée. Mais je souhaite au moins que sa mort nous enseigne que, même si les camerounais ont eu à boire des millions de litres de bières en un moment donné, il serait incompréhensible de l’équivaloir avec un fleuve comme le Wouri. Car malheureusement, « un fleuve ne se mesure pas en litres ». Mais Paul Valéry avait raison et il nous rassure : aucune peine n’est perdue, Sisyphe se faisait les muscles.

Félix Tatla Mbetbo, chroniqueur,

Coordonnateur d’INTELLIjeuneTSIA.

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