Histoire & PatrimoinePortrait

Portrait : Sa Majesté Seidou Njimoluh Njoya (1904-1992), 18e Roi Bamoun

Le prince Njimoluh Seïdou a 13 ans environ au moment où son père adopte définitivement l’Islam comme religion. On situe sa naissance en 1904, c’est-à-dire deux ans seulement après l’arrivée des Allemands à Foumban. Après avoir reçu une éducation à la fois professionnelle et traditionnelle, le jeune prince obtint un certificat de fin d’études à l’école bamum et un certificat d’apprentissage artisanal. Cette formation fut complétée pendant la période de l’administration française, car il fut parmi les premiers enfants que le roi Njoya a envoyé pour recevoir l’éducation occidentale dès l’ouverture de l’école française à Foumban. A la fin de ses études en 1922, il est sollicité par le Sultan auprès de qui il servit comme secrétaire-interprète. Pour le rendre responsable et respecter une vieille tradition, son père décide de lui donner une épouse au nom de Lantana Ndoufou. Peu après, il prend une seconde épouse nommée Mvuh Assana avec qui il célèbre le mariage musulman. Contrairement à son père, le prince grandit dans une ambiance de religiosité musulmane ; ce qui aura un impact considérable sur sa vie de roi.

Njimoluh Seïdou est considéré comme l’une de grandes figures politiques du Cameroun du fait des fonctions qu’il a occupées depuis 1946. En effet, il fut parmi les premiers élus de l’assemblée représentative du Cameroun, puis de l’assemblé territoriale et de l’assemblée nationale du Cameroun au lendemain de l’indépendance. Il est resté maire de Foumban, de 1955 à 1992, soit trente-sept ans de règne sans alternance et sept fois reconduit, respectivement en 1957, 1959, 1962, 1967, 1977,1982 et 1987. Cependant, ses fonctions politiques et administratives ne lui ont pas fait oublier son titre de gardien de la tradition et de facilitateur de l’Islam en pays bamum.

Njimoluh Seïdou fut témoin oculaire de l’attachement de son père à la religion musulmane. Pour preuve, c’est lui qui remet la pipe au roi Njoya en 1931 après avoir soigneusement écouté les propos suivant tenus par son père :

J’ai succédé à mes pères qui ont régné suivants nos coutumes, avec leur sagesse, et quelque fois en utilisant la force et en faisant couler le sang.moi même. J’ai agi de la sorte quand il le fallait, j’ai utilisé la force pour me faire craindre. Devenu musulman convaincu, j’ai appris qu’Allah veut que l’on règne dans l’amour du prochain car lui-même est amour…je m’en remets à la volonté d’Allah, le Dieu en qui j’ai cru, et vous demande de vous recueillir dans la piété Islamique.

Telles sont les propos tenus par le roi Njoya comme une exhortation à l’endroit de son futur successeur. Comme nous l’avons souligné plus haut, le siège du roi des Bamum est resté vide après le départ de Njoya pour l’exil. Son décès remet la question du maintien ou de la disparition de la royauté en pays bamum. Pour reprendre Daniel Abwa, l’administration française finit par comprendre qu’on ne peut pas par une note administrative gommer près de 4 siècles d’histoire. Les partisans du maintien de la royauté qui avaient à leur tête Njimonkouop Njoya Arouna a eu gain de cause et Njimoluh Seïdou fut désigné pour succéder au roi Njoya.

Après plusieurs tractations, le prince héritier fut intronisé le 25 juin 1933 comme 18e roi des bamum. C’est lors du rituel d’allégeance après son intronisation que le nouveau roi donne le ton du rapport qu’il va entretenir avec l’Islam. En effet, comme le souligne Njiassé Njoya, selon la tradition bamum, le nouveau roi doit verser du vin de raphia dans les mains des membres de sa famille et à tous les chefs qui doivent boire. L’Islam, devenu la religion de la majorité de la population, interdisant la consommation du vin, le roi pose un acte innovateur en serrant la main de ceux qui sont venus le reconnaitre. Ce geste qui parait simple a profondément marqué le peuple bamum. En le faisant, le roi venait non seulement de rompre avec une tradition de plusieurs siècles, mais mettait aussi fin à un mythe connu des bamum, car jusqu’ici personne ne pouvait serrer la main du mfon.

Le prince Nji Moluh se positionne comme le premier roi de la dynastie de Nchare à être intronisé sous l’influence de l’Islam comme religion majoritaire du royaume. C’est cette position qui a fait de lui un roi musulman soucieux de pérenniser les œuvres de son défunt père. En effet, le roi Njoya avant de mourir avait recommandé à ses fils notamment Njimoluh et Nji Kouotou Aboubakar de ne pas laisser tomber l’Islam en pays bamum. C’est pourquoi à son intronisation, Njimoluh devenu roi déclara « j’aurai les affaires de Dieu dans ma main droite et les affaires de la tradition dans ma main gauche.[5]» En accédant au trône, le roi Njimoluh a trouvé un royaume en quête de sa reconstruction traditionnelle et religieuse.

En effet, les autorités coloniales françaises ont interdit plusieurs pratiques traditionnelles et s’en prenaient parfois à ceux qui s’intéressaient aux études Islamiques.

La célébration du Ngouon fut par exemple interdite à partir de 1924 sous le règne du roi NJOYA. Sous embargo depuis lors et menacé de disparition, le Nguon a quelque peu refait surface deux décennies plus tard sous le règne du roi Njimoluh Seïdou qui en a convoqué les assises à quatre reprises: en 1958, à la faveur de l’inauguration de la grande mosquée de Foumban, en 1963 pour fêter ses trente ans de trône, en 1976 pour accompagner les premières Journées Culturelles et Economiques du Peuple Bamum et en 1985 pour marquer le cinquantenaire de son règne et le centenaire de la naissance du roi NJOYA célébrés simultanément avec l’inauguration du Palais Royal de Foumban rénové. Le roi Njimoluh était toujours animé dit on par le souci de poursuivre et d’approfondir les œuvres de son père sur plusieurs plans en plaçant les œuvres Islamiques au nombre des priorités. I Mouiche traduit ce rapport avec l’Islam en ces termes :

Il s’efforça d’améliorer l’enseignement de l’école franco-coranique; en1947, il fit le premier pèlerinage bamum à la Mecque. Il fit construire sur l’emplacement de la vieille mosquée érigée au début du siècle un nouvel édifice qui fut inauguré le 8 Janvier1958. Dans les années 1950,1960 et 1970, il envoyait «des malams en tournée dans les villages. Comme les moniteurs et les catéchistes protestants ou catholiques sont titulaires d’une carte signée du supérieur de la mission, ces maîtres d’écoles coraniques se faisaient établir des cartes par le Sultan» (Binet1957:405-9). En sa qualité de commandeur des croyants musulmans, il avait le pouvoir de nomination des imams dans le pays bamum. C’est sur cette base qu’il avait institué dans la mosquée centrale de Foumban le grand conseil des 17, lequel coiffait toutes les institutions musulmanes du pays bamum.

Le roi dans son désir d’être un exemple pour les croyants a souhaité accomplir le pèlerinage à la Mecque, l’un des cinq piliers de la religion musulmane. En réalité, en plus d’accomplir son devoir de croyant, le déplacement du roi vers la ville sainte de l’Islam revêt une importance car elle ouvre la voie de cette pratique aux musulmans bamum. Le tout premier pèlerin bamum, Njimoluh Seïdou, a foulé la terre sainte en 1947 accompagné de quelques responsables religieux. A son retour des lieux saints il redouble d’ardeur dans son engagement à encourager l’expansion de l’Islam à travers un enseignement adapté aux réalités du milieu ouvert au progrès et au développement. On rapporte qu’à cette période, les enfants vont affluer vers l’école franco-coranique créée à cet effet et très tôt, l’infrastructure scolaire est devenue insuffisante pour satisfaire la demande en éducation.

Un autre fait marquant de l’histoire de l’Islam en pays bamum et qui aura d’énormes conséquences plus tard fût la visite en 1950 à Foumban de Chérif Ben Amor Tidjani, petit fils de Cheou Ahmadou Tidjani fondateur de la confrérie Tidjanite. A son passage, il éleva le roi Njimoluh au rang de « Kalifati tidjani ». Ce titre signifiait que le roi devenait le porte parole de la dite confrérie en pays bamum en dépit du fait que l’Islam ne se réduit pas aux seuls rites tidjanites. C’est pourquoi, plus tard avec l’avènement du courant réformiste, le pouvoir royal s’est trouvé face à une situation de crise entre les tidjanites qui attendent un soutien sans faille de leur Amir et les réformistes qualifiés de « sunnite ou « wahhabite. » Cette crise politico-religieuse qui survient après les années 1990 sera gérée par le successeur de Njimoluh puisqu’il décède le27 juillet 1992 à Paris et fut enterré aux côtés des autres rois au palais royal de Foumban. Sa prière funèbre Islamique fut célébrée par l’imam Adamou Mfondzié.

 

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