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Alger sous les bulles

A  Alger, on a coutume de résumer méchamment l’Algérie par «Bled Mickey», le pays de Mickey, pour dénoncer l’absurdité des décideurs et l’ubuesque folklore qui tient lieu de scène politique. C’est donc une terre fertile pour Walt Disney, un pays aussi riche en images que ne l’est sa langue, très imagée. Le célèbre dessinateur de presse Dilem a battu le record de dédicaces au dernier salon du livre d’Alger qui vient de se terminer, au 4ème festival de bande dessinée qui s’est tenu en octobre dans la foulée. Un hommage posthume a été rendu pour la première fois au dessin politique en décernant un prix du patrimoine au bédéiste et dessinateur Brahim Gerroui, tué par des terroristes en 1995. Slim, bédéiste de l’ancienne génération et lui-même dessinateur de presse parmi les plus connus du genre, précise: «l’objet du crime était clair, on l’a retrouvé dehors, assassiné avec ses dessins dans les mains». Le dessin tue, sauf que la bédé n’est pas politique et reste un divertissement.

Nous déclarons le festival ouvert…

9ème art ou outil de communication, la bédé en Algérie se relance, même si une douzaine de titres seulement sont publiés par an. Et pour cette quatrième édition qui a tout l’air d’un succès au vu de la foule jeune et joyeuse venue y assister et de la qualité des interventions, près d’une centaine de bédéistes représentant une trentaine de pays dont la moitié d’Afrique sont venus. Un millier de titres ont été exposés, même si une bonne partie était destinée aux enfants. C’est d’ailleurs le but du jeu comme l’explique Rachid Alik, directeur de la communication du festival: «ce que nous voulons, c’est donner le goût de la lecture de la bande dessinée aux enfants.» Ajoutant, comme une réponse à l’agitation ambiante où les émeutes à caractère socioprofessionnel sont quotidiennes:

«c’est un art qui ne nécessite qu’une feuille et un crayon.»

C’est pourtant une histoire de moyens et l’Etat, premier sponsor de l’opération, n’a pas lésiné. Mahfoud Aïder, bédéiste, dessinateur de presse et président du jury pour ce festival, l’admet volontiers:

«L’Etat a fait ce qu’il pouvait en mettant l’investissement, restent les éditeurs qui ne veulent pas se mouiller en investissant sur les dessins d’un Algérien. Ils préfèrent plutôt acheter pour leur enfants des bédés ramenées de l’étranger.»

Ce que d’ailleurs ont plus ou moins épousé les organisateurs du festival, invitant à grand frais des scénaristes et bédéistes européens, tout en refusant d’héberger de jeunes dessinateurs algériens venus de l’intérieur du pays. Un membre de l’organisation est un peu déçu et avoue en off qu’ «on n’a pas encore dépassé le complexe du colonisé.» C’est une image? Pas vraiment, ou si mais au sens propre, l’un de ces jeunes dessinateurs de l’intérieur est reparti furieux avec un blog acide sur le Net qui raconte (en bédé bien sûr) ses mésaventures au festival. Et une conclusion, provisoire ou définitive: «Bled Mickey?»

Les mangas ont le vent en poupe

Le 8 octobre, vendredi, jour de repos hebdomadaire. Sur la grande esplanade de Riadh El Feth allongée sous un soleil radieux à quelques bulles de la Présidence de la république, les curieux, les oisifs et les aficionados de la bédé se bousculent gentiment. Des stands sont disposés un peu partout, petits chapiteaux blancs plein d’images et de tendresse bon enfant. Si l’exposition centrale d’un ancien dessinateur de presse et bédéiste algérien n’attire pas grand monde, un petit stand magnétise une foule nombreuse, jeune, colorée et rieuse. Il s’agit de Labstore, petit éditeur indépendant de Mangas algériens, dont le succès est indéniable. A côté de lui, même foule, il s’agit aussi d’un petit éditeur qui publie dans des formats de poche des collectifs de dessinateurs, Mangas ou autres, dont les jeunes raffolent. Les prix sont étudiés, autour de 3 euros le recueil, et se vendent comme des petits pains sortis d’un four mi-traditionnel mi-numérique.

Rencontre, jeunesse, autographe

Tout autour, des anciens dessinateurs ou des plus jeunes rencontrent leur public dans une débauche de styles qui vont du dessin de presse au roman graphique, en passant par de la bédé pure et dure comme la bonne enquête policière de l’inspecteur Walou (rien, en Algérien) du duo Dahmani-Gyp’s (éditée à compte d’auteur) qui a d’ailleurs reçu le prix du meilleur album algérien pour ce festival. Si l’on mélange les genres, la bédé algérienne fonctionne donc bien, et un mensuel de bande dessinée, Bendir, tiré à 3000 exemplaires, existe d’ailleurs depuis l’année dernière, édité par les Éditions Dalimen qui ont par ailleurs réussi pour cette année un bel album,«Les Monstres», travail très réussi d’un jeune collectif algérien. Frais et harmonieux ensemble de graphismes aboutis très différents et d’idées originales dans lequel on peut même y trouver les dessins d’une femme nue, audace visuelle dans un pays où les mœurs sont devenues aussi serrées qu’un nœud marin. Avec surtout, des noms à retenir, comme la jeune dessinatrice Nawel Louerrad pour ne citer qu’elle. Ou dans un autre registre, venu en tant que visiteur, Ifez, jeune auteur algérien de la première série d’animation en 3D (Tunis 2050, diffusée sur la chaîne tunisienne Hannibal TV), qui s’amuse à glisser des messages subliminaux dans ses œuvres. Sans oublier pourtant les anciens, à l’image de Red, dessinateur adepte de la ligne claire du graphisme de l’école belge mais toujours aussi délirant. Le 4ème festival de la bande dessinée d’Alger est donc à ce titre une réussite et dans cette grande esplanade aussi plate que le désert des solitudes, les bulles auront réussi à créer du relief. Pas de Mickey pourtant, l’Américain Walt Disney aura été absent, bousculé par l’alliance algérienne avec les Japonais du Manga.

La bédé: une arme de paix?

Il n’y a pas que de la légèreté dans les bulles et à à l’occasion de ce quatrième FIBDA, même Tintin a été revisité à travers une conférence belge. Si celle-ci a bien pris le soin d’éviter les dérapages colonialistes de Hergé, pourtant suggérés par le modérateur algérien (les Algériens adorent tout politiser), une conférence plus africaine s’est tenue sur «le rôle de la BD dans l’avènement de la paix et de la réconciliation en Afrique», animée par le bédéiste et universitaire congolais Hilaire Mbiye, attristé de voir que la bédé n’est toujours pas portée par les organismes africains pour promouvoir des idées citoyennes: «les bandes dessinées portant sur la sensibilisation à la consommation de drogues, aux agressions sexuelles ainsi que toutes formes de violences, distribuées gracieusement dans des établissements scolaires africains, sont commandées auprès d’organismes étrangers, assurant leur financement», expliquera ce sémiologie de l’image, précisant que

  «le message par l’image est certes plus efficace que le discours, mais je demeure préoccupé par les images stéréotypées de misère, maladies et famine collées souvent au contient noir que peut véhiculer ce genre de bande dessinée commandée.»

Le printemps arabe en bulles

Mais si l’Afrique a été bien représentée dans ce festival, à l’image de Pahé, dessinateur gabonais ou du facétieux dessinateur nigérian Native, passé de Brooklyn-New York à l’université islamique d’Al Azhar sans perdre de son humour, signe des temps, le Printemps arabe s’est invité. Notamment par la jeune équipe de Tok Tok, magazine bédé égyptien né place tahrir (là où a surgi la Révolution), ou le dessinateur tunisien Yassine Ellil qui retrace la Révolution du Jasmin avec son album Good Bye Ben Ali. Des sujets qui fâchent le régime d’ici, qui reste quand même conscient que la bédé est un média froid. A noter tout de même cette exposition «Octobre 1961, les auteurs de la BD témoignent», en référence à la «ratonnade» de Paris, où des centaines d’Algériens avaient été sauvagement jetés dans la Seine pour avoir pacifiquement revendiqué l’indépendance de leur pays. D’où peut-être l’idée de cette bande dessinée bien présentée au festival, Abtal Al Maghreb «Les héros du Maghreb» dont l’un des personnages de la couverture ressemble étrangement au président Bouteflika.

C’est quand même l’État qui finance le gros de la manifestation et on a pu croiser en ce vendredi ensoleillé la ministre de la culture, Khalida Toumi, venue quasi incognito pour mesurer la réussite du festival dont elle est partie prenante La bédé est-elle neutre? Tout dépend des cases, des bulles et de ce que l’on met dedans. Mais le saviez-vous? L’inventeur de la bédé est Rodolphe Töpffer, un Suisse, sage citoyen d’un pays très neutre. La Suisse serait-elle le véritable Bled Mickey?

source: slateafrique.com

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