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Max Ngassa : « L’Afrique est un grand studio de tournage. Je vendrai la beauté Cameroun au monde…»

Son toucher transforme inexorablement chacune des réalisations qu’il exécute. Fils du Cameroun et fier des origines qui l’ont vu naître, malgré son adoption comme citoyen du monde. Max Ngassa nous a livré les secrets de sa fabuleuse et presque discrète ascension au cœur de « l’image » en Afrique et même en occident. Plurivalent et très érudit, il répond avec aplomb et concision aux différentes interrogations qui meublent l’univers de la réalisation vidéo entre autres mais aussi, apporte des essais de solutions pour une évolution, un changement radical dans ces domaines.

Bonsoir Monsieur Max Ngassa, bienvenue au Cameroun !

Merci, c’est un plaisir.

Partagez avec nous votre parcours qui est déjà très plébiscité dans le monde du vidéogramme.

Aujourd’hui si on connait Max Ngassa, c’est parce que j’ai bien voulu porter le vert-rouge-jaune ! Sinon à la base mes vidéos étaient signées Ultra Max, le nom de la société. Mais j’avais marre de voir des vidéos concernant mon propre pays toujours en dessous de la moyenne. Je me suis dit, je fais beaucoup de vidéos pour les autres et, eux ils prennent l’honneur. Et mon pays, non ! J’ai plein de neveux, nièces, de la famille, il faut que le vert-rouge-jaune signe les clips et qu’il revendique ce que je sais faire. J’ai les mêmes potentiels que mes amis qui sont des réalisateurs aux Etats-Unis, de 50 Cent, etc. Mais le travail que je faisais était réclamé par les Gabonais, ivoiriens, congolais mais pas par mon propre pays. J’ai dit ok, now on va passer à Max Ngassa pour que l’identité soit rendue au pays et en plus la fierté de la nation. J’ai bien envie que les jeunes réalisateurs camerounais puissent voir ce que je fais et se disent c’est quelqu’un de chez nous, s’il fait ça nous aussi on peut bosser dur pour devenir…  Mais mon parcours est sincèrement beaucoup plus vaste. On ne peut vraiment pas le définir. Mais plus brièvement, ma carrière a commencé au Gabon où j’avais une société. J’ai fait toutes mes formations à Londres et beaucoup avec des stages sur des grosses productions comme 50 Cent, comme Pharrell, etc, où j’ai eu à participer aux tournages qui se faisaient. Max Ngassa c’est le fruit de beaucoup de training, énormément de training. Grâce aux conseils de mes amis américains qui étaient déjà dans la production, ils m’ont fait comprendre qu’il fallait travailler, tout le temps… Et ne pas se disperser. On ne peut être maçon, menuisier, etc. sinon on sera moyen dans tout. C’est de là qu’est venue la force du travail et la concentration. Et ce que vous voyez aujourd’hui, c’est le résultat de près  de 20 ans de travail, beaucoup de sérieux… Mon intérêt à la base c’était de casser ce stéréotype de l’Afrique ! Ah, chaque fois tu arrives, le réalisateur c’est un africain, même les gros techniciens avec qui je travaille, c’est des gars qui travaillent dans des pubs, des médias, c’est des grosses productions. Et quand tu arrives, tu dois les diriger comme un général. Et si tu n’as pas le niveau, tu ne peux même pas les guider, leur dire ce qu’ils ont à faire.

Le passage d’Ultra Max à Max Ngassa c’est le fait de la fierté du pays et le besoin de reconnaissance de tes frères camerounais. Comment s’est faite cette transition ? A-t-elle été facile lorsqu’on sait que changer l’identité d’une entreprise, ce n’est pas toujours aisé ?

Vous savez aux Etats-Unis, les vidéos des réalisateurs ne finissent pas par le nom de leur société. Sur le plan européen, ça demandait déjà que je me défende en tant que personne et non en tant qu’entreprise. Parce que c’est une affaire de compétence, de génie personnelle. C’est surtout ça, la créativité. Si c’est la société Ultra Max, je ne suis pas obligé de réaliser, je peux avoir plusieurs réalisateurs sur un projet. En Europe, je suis Senior Colorist, c’est ce qu’on appelle Etalonneur Numérique. C’est ce métier-là qui consiste à finaliser le film. C’est celui qui vous permet de regarder un film en salle et dire waouh c’est beau, magnifique. C’est de donner ce que les artistes appellent le mastering c’est-à-dire la touche finale. Je suis plus basé en France, en Belgique et en Suisse. En France par exemple, il y’a deux noirs : moi et un Antillais. J’étais conscient que s’imposer n’était pas évident en tant que réalisateur parce que les projets de réalisation, il faut l’avouer, c’est confier aux blancs ! S’il n’y a plus de blanc, c’est là où on te le confie ! Il a fallu que j’émerge dans un domaine où eux-mêmes ont du mal à s’imposer ; ou on te donne du travail parce que t’es compétent. Raison pour laquelle pour m’identifier une fois de plus, il a fallu que ce soit Max Ngassa.

Pour la réalisation, j’ai plein de jeunes africains que j’encadre. Je ne peux plus parler du Cameroun seulement, parce que Max Ngassa est devenu une propriété de plein de jeunes qui le regarde. Et je suis touché à chaque fois lorsque les jeunes au Congo, m’écrivent pour me dire grand frère nous sommes dans une école de formation et mon travail est utilisé comme TP (Travail Pratique, Ndlr). Et ça m’encourage une fois de plus. C’est pourquoi tous ces réalisateurs qui me contactent via Facebook et qui ont besoin de s’améliorer, je n’hésite pas de leur donner des conseils. Mais j’apprécie bien évidemment le travail que les jeunes réalisateurs font au niveau du Cameroun. Il y’a l’arrivée de la caméra 5D qui a permis a plein de réalisateur de faire de belles choses. Ce que je leur dis c’est que ce n’est pas suffisant ! C’est la caméra qui embellit l’image mais il y’a la base qui n’y est pas. C’est beau mais ça reste basique ! Il manque d’école là-dedans, il maque la lecture cinématographique. Il ne faut hésiter d’aller sur internet. Ce n’est pas tout le monde qui peut faire ce que j’ai fait. Les formations, Ça coûte des millions. Payer 6 millions pour une formation qui va durer deux semaines, ce n’est pas offert. J’ai eu l’occasion de financer mes formations et je les invite à le faire et surtout de comprendre qu’il y’a beaucoup de choses sur internet. Les américains mettent tout sur internet… Il faut prendre le temps de lire, les cours, les bases ; le clip c’est le fils du cinéma. Il ne faut pas juste filmer et l’artiste danse,  ça ne suffit pas… Moi aussi je fais des petites vidéos. Ce que moi j’ai appris à l’école, c’est comment réaliser une vidéo à 1 Dollar ; je ne fais pas que des clips à gros budget. Pour être bon, il faut être bon en système D, sinon même si on te donne 20 ou 30 millions, tu feras toujours un clip de merde, parce qu’il te manque des bases de formations.

Quelles ont été les formations qu’a effectuées Max Ngassa au fait ?

J’ai fait des formations en tant que Réalisateur ; en tant que Monteur ; en tant que Motion Designer et la dernière c’est  celle d’Etalonneur Numérique qui m’a coûté beaucoup de millions, qui n’existe pas encore en Afrique en temps réel. Etalonneur Numérique consiste à changer la couleur de votre chemise bleu peut-être en rouge, bref c’est le travail profond de l’image…

Grosses dépenses pour les formations supposent aussi que vous en avez suffisamment.

L’argent que j’ai investi dans mes formations, d’autres l’investissent dans des grosses voitures, pour construire une grosse maison, une Porsche, une Ferrari, etc. Mon investissement personnel, ma richesse c’est sur mes formations. Je gagne des millions ça c’est clair. Même si mon studio se brûle, je n’aurais rien perdu. Tout est là, dans ma tête. Il y’en a qui m’approchent et me disent grand frère, on veut ton ordinateur. Max Ngassa ce n’est pas dans un ordinateur. Le savoir n’a pas de prix. Travailler, gagner de l’argent et l’investir ; l’investir ce n’est pas en achetant une caméra : c’est retourner à l’école suivre des formations ou les acheter en ligne… Qui dit niveau en termes de formation, dit niveau à ce que tu gagnes comme gain.

Quelles ont été le ou les meilleurs clips que vous avez réalisés ?

Mon meilleur clip, c’est un clip à 1 Dollar que personne ne peut aimer. C’est un petit clip et personne ne peut même le voir. J’ai beaucoup aimé ce clip à cause des artistes traditionnels parce que c’était des gens qui jouaient des tambours. Jusqu’aujourd’hui, je regarde ce clip, le niveau est bas ! Mais j’adore ce travail. Le meilleur clip que j’ai fait, ce n’est pas forcément tous les gros clips que tout le monde voit. Et en même temps, il faut être précis : il n’ya pas de gros clips ; il n’y a pas de choix personnel, genre celui-ci  est mieux que l’autre. Chaque clip est comme un enfant que tu mets au monde et que tu te dois de l’assumer. Chaque clip a ses moyens et on ne peut pas forcément avoir le même niveau de travail comme ce que j’ai donné à Charlotte Dipanda par exemple ou ce que j’ai donné à Fally Ipupa ; c’est par rapport à la force, au sérieux que Fally lui-même mit dans sa musique. Il y’a des chansons que j’essaie de transcender. Les artistes comme ferre Gola dont j’ai envie de donner plutôt une autre image comme ce que j’ai pu faire sur le Congo. L’image des vidéoclips congolais aujourd’hui, c’est suite au travail que j’ai pu faire de ce côté-là sur ces artistes. On peut prendre de la Rumba et en faire un clip américain ! Et si tu coupes la Rumba, tu auras l’impression que c’est un artiste américain qui joue. Et surtout, ne pas limiter l’image car mon intérêt c’est de pousser les occidentaux à écouter notre musique sur une image qui leur plait aussi et qui fait rêver les africains. Si un gars chante du Bikutsi, c’est déjà du Traditionnel et si on l’emmène encore tourner au village… Evitons d’indigéniser davantage l’Afrique. L’image qu’on a de l’Afrique c’est le ghetto, la famine, les gens souffrent, meurent, les enfants chialent partout. Mais ce n’est pourtant pas ça l’Afrique. J’ai des collègues qui n’ont jamais mis les pieds ici mais ils ont l’impression qu’il n’y a même pas les routes goudronnées, les hôtels, les villas en Afrique. On doit aussi pouvoir vendre cela. Et si je suis venue au Cameroun, c’est déjà pour dire au Cameroun, je suis ton fils, je t’aime ; pour encaisser cette chaleur et dire, je serai là tout le temps. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour montrer ta beauté au monde.

Quel regard critique portez-vous sur l’environnement audiovisuel, mais aussi vidéoclip au Cameroun ?

L’un des gros problèmes du Cameroun, c’est que longtemps le Cameroun n’avait qu’une seule chaine, la CRTV. Et c’était la seule culture d’images qu’ils avaient. C’est la raison pour laquelle il y’a ce retard. Nos artistes n’ont pas la notion de la qualité de l’image, ils ne mettent pas l’accent sur leur clip … Vous pouvez lui faire un clip avec le I-Phone, il ne verra pas la différence et c’est l’une des causes du retard de l’image sur le Cameroun. Ils doivent apprendre aujourd’hui que sans la qualité et le sérieux de l’image, ils ne passeront nulle part, ni sur Trace… J’ose croire qu’avec l’arrivée d’autres chaines de télé, ils ont le temps de regarder ce qui se passe ailleurs. Mais bizarrement, beaucoup ne feront pas la différence. Le Cameroun a beaucoup de culture. Par moment, Trace programme des clips des artistes camerounais mais vraiment super merdiques. Tu as honte de les regarder ! Je vois les clips qui se font sur le Cameroun mais dans tout ça, il n’y a pas le Cameroun dedans ! Quand vous voyez un clip américain, les gars survolent les Etats-Unis. On  a des monuments, des musées, pleins de choses au Cameroun mais vendez notre pays ! Je suis arrivé, j’ai fait le Littoral, le Nord-Ouest, l’Ouest, le Centre, etc. Tout ce qu’on fait en Europe, c’est parce qu’on n’a pas le choix. Il faut créer et c’est avec ça qu’on évoluera. Le peu de réalisateur qui arrivent à faire des clips qui ressemblent à quelque chose, font encore l’effort de faire des clips qui ressemblent à ceux des occidentaux. Nous, on a besoin de dire waouh comment il a pensé pour positionner cet artiste à cet endroit, comment il a shooté le lac… Il faut qu’on montre aux américains, venez chez nous. On a Limbé, on a Waza, etc. Au Cameroun, il y’a des belles villas, des belles plages, etc. On a l’impression que c’est pauvre ! Moi je regarde certains clips hein, je ne suis pas très critique mais je reste poli. Mais je ne peux qu’encourager parce que le niveau de l’image que le Cameroun a aujourd’hui, il n’y avait pas ça avant. Il faut écouter la musique et créer. Ça ne sert à rien de regarder un clip américain et faire la même chose. Nous sommes des créatifs à la base. Le clip c’est une arme ! Il faut communiquer à travers le clip. Dire le Cameroun c’est beau, bien… Il n’y a pas que les bandits, le ghetto, … C’est vaste. Quand tu regardes le tourisme au Cameroun, il y’a les parcs avec des animaux ; et il y’a des chanteurs camerounais qui reflètent ces images. Il faut que les artistes camerounais arrivent à intégrer ça. Par contre, j’ai beaucoup aimé la texture de travail qui a fait sur Lady Ponce, avec des tenues africaines. Il y’a des stylistes qui peuvent créer des looks pour la chanson après l’avoir écouté. C’est toute une industrie qui est à la limite par moment gratuite. En Europe, tu veux prendre un styliste, une voiture, you must pay ! Tu veux shooter dans la rue, il faut des autorisations. Alors qu’ici on a tout un studio, le Cameroun !

Cela veut dire qu’il y’aura très prochainement un centre de formation Max Ngassa, en cinéma, réalisation, etc ?

(Sourire) Euh ! J’ai des jeunes camerounais ici. Il y’a des jeunes à STV que j’ai formé au Gabon. Il y’en a qui font de la pub ici que j’ai formé au Gabon, Iboga, etc ; j’en ai beaucoup formé au Gabon. Une école de formation, je n’aurais pas le temps ; mais le moment venu, j’organiserai des Master Class d’une ou deux semaines pour ceux qui veulent bien profiter de mon expérience, où on pourra travailler amplement. Et je formerai des jeunes camerounais à lutter contre leur premier défaut, l’orgueil. Le fait de faire un premier clip en 5D et dire wouaih je suis fort, non rien du tout. On n’est jamais fort, Max Ngassa n’est pas fort, j’apprends tous les jours. Et même les gars que je formais, je leur ai toujours dit, Max Ngassa c’est Max Ngassa, vous c’est vous ! Je vous donne tout mon savoir mais vous ne pouvez pas me battre parce que moi c’est moi ; parce que je ne dormirai jamais sur mes lauriers… Mais si vous vous limitez à ce que je vous apprends, vous resterai toujours en arrière. J’ai besoin que vous vous battez encore plus fort et que vous fassiez mieux que le maitre. Mais le maitre reste le maitre. Le maitre s’entraine tous les jours, il ne dort pas.

Comment ça se fait que vous ayez fait 20 ans sans venir au Cameroun ?

Le Cameroun est en nous ! Mes formations et ma carrière ne m’ont pas laissé le temps d’être là. Nous sommes une génération qui a été appelée à se battre toute seule. On a tous eu des Bac et des Licences mais on s’est retrouvé tout seul, sans soutien. Il a fallu aller ailleurs se battre. Le pays c’est le pays malgré qu’on peut ne pas parfois être d’accord avec certaines choses. La chance qu’on a c’est surtout ce patriotisme qui nous a été inculqué depuis l’école primaire, de s’aligner en rang et de chanter l’hymne nationale. Ce qui fait que quelque soit ce que les autres pays peuvent nous donner, ils ne peuvent pas nous enlever notre cœur ! C’est pourquoi aujourd’hui je défends et je dois porter le drapeau du pays avec fierté.

Votre dernier mot ?

Je remercie votre équipe et je vous dis, les gars bossez ! Par moment, il n’y a rien mais le meilleur est devant. Un pas après l’autre…

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