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La vie rêvée des Africains de Washington

Un samedi en début de soirée dans le quartier métissé de West Hyattsville à Washington, D.C. Un groupe de ressortissants maliens discutent bruyamment des derniers événements au Sahel: l’assassinat de deux journalistes français à Kidal, dans le nord du Mali, survenu un peu plus tôt dans la journée et les législatives maliennes prévues dans deux semaines. Ce qui revient aussi dans ces échanges passionnés, c’est la libération, quelques jours plus tôt, le 29 octobre, des quatre otages français qui étaient détenus au Niger.

Le groupe est assis autour d’une table, quelques boissons devant eux, la télévision tourne en boucle et des odeurs de cuisine envahissent cette petite salle où il fait vite très chaud et qui paraît encore plus exiguë au fur et à mesure que d’autres personnes y rentrent.

Le restaurant African Congress est l’une des adresses les plus fréquentées de la communauté africaine dans la capitale fédérale américaine. C’est ici qu’elle se retrouve les week-ends, afin de recréer une ambiance dans l’esprit des «soirs au village» et partager des nouvelles «du pays». Et ce samedi soir, tout ce qui s’est passé dans le semaine au Sahel plonge la clientèle de l’African Congress dans un mélange de soulagement, d’inquiétude et de colère.

Pour autant, aucun de ces femmes et hommes ne veut céder au découragement, comme l’explique Moussa, un Malien parti de Bamako, il y a une douzaine d’années, pour s’installer à Washington.

«Ce qui se passe est très grave, nous devons en prendre conscience et réfléchir en permanence à ce que nous pouvons faire de l’étranger. Mais la première chose consiste à garder l’espoir et l’enthousiasme et montrer que, malgré tout, des choses magnifiques se font en Afrique, qui méritent aussi d’être connues», explique ce jeune homme de 34 ans qui a monté un commerce de revente d’appareils électroniques.

Solidarité africaine

Comme beaucoup d’autres, il est venu aux Etats-Unis, afin d’expérimenter le fameux «rêve américain». Le fait de se retrouver dans ce petit restaurant avec quelques compatriotes ou des ressortissants d’autres pays africains est une manière de ne jamais l’oublier et de se donner du courage pour aller de l’avant. Et les restos façon «petits maquis» d’Abidjan ou de Douala sont des endroits appropriés pour cela. Ne cherchons pas à comprendre pourquoi. Le fait est qu’il y en a plusieurs comme le Kitchen Near You, le Sumaah ou encore le Roger Milla, tous concentrés sur la route en direction de Maryland.

«Si les Africains installés à l’étranger, et précisément ici à Washington, ne saisissent pas toutes les occasions pour mettre en avant l’énergie et la créativité de leur pays d’origine, personne ne le fera à leur place», ajoute Moussa.

C’est pourquoi, il est un rendez-vous que presqu’aucun Africain installé à Washington ne manque. C’est la foire de Downtown Silverspring, qui est une sorte de carnaval hebdomadaire. Chaque samedi, cet endroit se transforme en une sorte de grand village africain. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on y trouve de tout: des stands d’objets artisanaux aux étals de produits alimentaires typiques du continent.

D’un côté de ce Downtown Silverspring, sont disposés des stands de dégustation de ce que l’on appelle «country food» (l’atiéké ivoirien, le thièp ou le mafé sénégalais ou encore le n’dolé camerounais). D’un autre côté, une petite scène accueille toux ceux qui le souhaitent pour des activités culturelles.

«Nous avons mis en place ce rendez-vous hebdomadaire, il y a quelques années, afin de permettre aux ressortissants africains de se rencontrer, de mieux se connaître et renforcer la solidarité sans laquelle il serait assez difficile de surmonter l’éloignement de nos proches restés au pays», explique Georges-Léonard Sagno, un ancien responsable de l’Association des Guinéens de la région de Washington.

Regrouper les Africains! On pourrait penser que cela va de soi, lorsqu’ils se retrouvent dans un même endroit à l’étranger, comme c’est le cas à Washington. En réalité, pas vraiment. Si l’on s’en tient aux diverses associations répertoriées par la mairie, les Africains de Washington se regroupent principalement par affinités nationale ou sous-régionale. Nigérians, Sénégalais, Guinéens, Ethiopiens, Ivoiriens ou Camerounais, Sud-Africains ou Kényans ont chacun leur association.

«C’est une bonne chose, mais cela n’aide pas beaucoup à s’intégrer dans ce pays, qui est pourtant une vraie terre d’opportunités, ajoute Georges-Léonard Sagno, arrivé à Washington il y a dizaine d’années et qui travaille comme journaliste à la Voix de l’Amérique. Le fait de se retrouver nous permet de nous rendre compte de notre potentiel, de partager nos expériences et de réfléchir ensemble sur ce que nous pouvons faire pour nos pays respectifs.»

Dans ce même esprit, toutes ces associations se préparent pour les toutes premières Journées culturelles africaines d’Amérique du Nord (JCAAN), prévues le 14 décembre prochain à D.C. Au-delà de ce qui se veut un grand rassemblement de la diaspora africaine dans cette partie du monde, les organisateurs entendent surtout créer un cadre de réflexion et de propositions en matière d’éducation, santé, bonne gouvernance et de démocratie.

American dream

«Le développement de l’Afrique est impossible sans la diaspora. C’est une vérité incontestable, mais c’est aussi une lourde responsabilité que nous nous devons d’assumer», explique Mercy*, une coiffeuse kényane et l’une des responsables de l’organisation. Pour Mercy, les JCAAN devront proposer une plateforme de contributions pour le continent, mais elles serviront aussi à montrer que le rêve américain est toujours possible.

Les Africains de Washington occupent tous les secteurs d’activités, des plus ingrats aux plus prestigieux (vigiles, agents de nettoyage, enseignants, journalistes, ingénieurs, médecins, etc.).

De nombreux autres se sont même lancés en politique comme le Camerounais Nestor Djomkam. Il est arrivé aux Etats-Unis, il y a vingt ans et a aussitôt adhéré au Parti démocrate. Aujourd’hui, comme candidat indépendant, il ambitionne de devenir le prochain maire de Washington, à l’issue des élections de novembre 2014. Il dit avoir de bonnes chances de l’emporter et de bénéficier du soutien des Africains et même des Latinos, même s’il reste encore une longue année pour battre campagne, avant le scrutin.

«Ma candidature n’est pas une candidature africaine, même si je peux affirmer bénécier du soutien et des encouragements de tous», souligne Nestor Djomkam que tous les Africains que nous avons rencontrés dans la capitale fédérale américaine, appellent déjà affectueusement, «Monsieur le maire». Ils y croient presque tous, et Nestor Djomkam lui même s’y voit déjà.

Peu importe si la communauté africaine de Washington, D.C., malgré son dynamisme et son enthousiasme, représente seulement une infime partie des quelques 632.000 habitants de la ville. Mais nous sommes aux Etats-Unis, où l’idée que tout est possible est fortement ancrée dans les esprits. A condition de s’en donner les moyens. «Monsieur le maire» Nestor Djomkam le dit dans une jolie formule, «la chance n’existe qu’au bout de l’effort».

Raoul Mbog, à Washington

*Le prénom a été changé pour respecter l’anonymat de notre interlocutrice. 

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