Cédric avait 17 ans quand il a rencontré Jennifer. Après quelques échanges en ligne, l’adolescent originaire de Marseille participe à ce qu’il croit être un «plan webcam». Il flirte avec elle et se déshabille devant la caméra. Sauf que Jennifer n’existe pas. Il s’agit en vérité d’une identité utilisée par un arnaqueur, qui commence à menacer Cédric. Il doit envoyer des SMS surtaxés à son agresseur, sous peine de voir sa vidéo intime diffusée sur YouTube. Il refuse. Cédric avoue finalement à sa mère avoir fait «une grosse bêtise», avant de se suicider face à la pression du chantage, en janvier 2012.
Frapper dans l’intime
L’adolescent a été victime d’une des formes les plus tragiques du cyber-harcèlement sexuel. Il s’agit d’humilier de manière répétée la victime en utilisant son intimité, par l’intermédiaire des nouvelles technologies. L’extorsion d’argent n’est pas son seul motif. Le cyber-harcèlement sexuel peut être déclenché par une déception amoureuse: c’est le cas du «revenge porn», l’acte de diffuser en ligne des images ou vidéos intimes d’une autre personne, généralement un ancien compagnon. Il peut aussi répondre à un besoin d’amusement cruel de la part d’adolescents en manque de sensations fortes: ils diffusent alors une photo intime d’un ou d’une de leur camarade dans la cour de récré.
Il n’y a pas de victime typique du harcèlement sexuel en ligne. «Ça peut avoir lieu entre gamins, entre adultes ou entre un adulte qui veut abuser d’un enfant», décrit Laurent Frappart. Hommes, femmes, adolescents, adultes, personnes en couple ou célibataire: tout le monde peut être touché. C’est l’histoire de cette adolescente de 14 ans qui a été forcée de déménager après que son ancien petit ami eut diffusé à tout son collège une vidéo à caractère sexuel la mettant en scène. C’est aussi le cas de cette femme qui a vu ses photos intimes et son adresse postée par son ancien compagnon sur un site de prostitution.
Aux États-Unis, le problème est pris très au sérieux. Une loi contre le «revenge porn» vient de voir le jour en Californie et un projet similaire est en préparation dans l’État de New York. En France, on n’en est pas encore là. Le projet de loi sur l’égalité femmes-hommes, présenté en première lecture au Sénat en septembre, comporte un article cherchant à mieux délimiter et punir le cyber-harcèlement. Un agresseur en ligne risque deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende. Cette peine peut s’alourdir lorsque les faits sont commis sur des personnes vulnérables, comme un mineur. «Aujourd’hui, on réprime ce genre de faits par les lois de protection de la vie privée alors que le cyber-harcèlement va bien au delà de ces thématiques», explique Virginie Klès, sénatrice PS qui a écrit l’amendement à l’origine de ces dispositions dans la loi. Néanmoins, cette dernière ne mentionne pas spécifiquement le cyber-harcèlement sexuel. «Il ne faut pas trop limiter un délit», estime la sénatrice, «sinon on ne rend plus le service qu’on veut rendre aux victimes».
«Le cyber-harcèlement est le fait d’utiliser les nouvelles technologies d’information et de communication pour humilier ou intimider une personne, de manière répétée dans le temps.»
Amendement au projet de loi sur l’égalité Femmes-Hommes
Orienter et prévenir
Les victimes de cyber-harcèlement sexuel peuvent porter plainte à la gendarmerie ou à la police, qui travaillent en collaboration sur ces sujets. Les autorités ont un pouvoir de réquisition pour demander, avec accord d’un procureur, aux sites Internet de communiquer des données techniques permettant de retrouver les responsables de la diffusion d’images intimes et les présenter à la justice. En cas de doutes sur les démarches à suivre, les victimes peuvent également se tourner vers la CNIL. En 2012, la commission a enregistré plus de mille plaintes concernant le droit à l’oubli numérique, dont une cinquantaine concernaient plus particulièrement des cas de harcèlement sexuel. «Les victimes doivent se ménager des preuves avant de nous contacter», prévient Judicaël Phan, juriste à la CNIL, «il faut faire des captures d’écran, garder les emails envoyés à l’agresseur, au site ou à son hébergeur».
L’autre volet de lutte contre le cyber-harcèlement sexuel est éducatif. Dans ce cadre, on vise particulièrement les enfants et les adolescents, plus vulnérables face à ces pratiques. «Les enfants pensent parfois que c’est un jeu, auquel même les grands jouent!» explique Virginie Klès. Difficile de faire de la prévention auprès de personnes qui grandissent dans une société hyper-sexualisée et qui maîtrisent bien mieux les nouvelles technologies que leurs aînés. «Il y a un manque de dialogue sur la sexualité», estime de son côté Laurent Frappart, «le tabou des parents peut devenir un besoin de transgression chez les enfants, qui n’osent pas ensuite venir se plaindre quand les choses dérapent, de peur d’être punis». Des modules éducatifs sont organisés dans les écoles et les collèges, pour d’éduquer les élèves sur les dangers d’Internet et les bonnes pratiques à adopter. Le but: que les enfants d’aujourd’hui ne deviennent ni les victimes, ni les bourreaux de demain.
Le phénomène de l’escroquerie «à la nigériane»
Ce phénomène a vu le jour il y a quelques années chez des arnaqueurs originaires de Côte d’Ivoire, du Nigéria ou du Bénin. Pour mieux extorquer de l’argent à leurs victimes, souvent françaises, ils frappent là où ça fait mal: l’amour et le sexe. «Ils se connectent sur des forums et repèrent les membres les plus vulnérables, qui viennent s’épancher sur leurs problèmes», explique Laurent Frappart, adjudant-chef du service de lutte contre la cybercriminalité à la gendarmerie du Pas-de-Calais. «Ils agissent en bon samaritain, viennent prêter une épaule virtuelle sur laquelle pleurer. Ils font croire à une histoire d’amour et ça peut finir en discussion où la victime se déshabille devant la caméra. Une fois la vidéo enregistrée, ils demandent de l’argent à la personne, sans quoi ils diffusent les images intimes auprès des amis et de la famille.»
Difficile de savoir le nombre de victimes de ce genre d’arnaques. «Elles viennent rarement se plaindre», affirme Laurent Frappart. Trop honte. Trop peu de solutions, aussi. «On peut régler les problèmes d’extorsion d’argent, mais les arnaqueurs se connectent souvent dans des cyber-cafés à l’étranger. On ne peut pas les attraper.» Les pays d’origine des agresseurs ont pris conscience du problème et ont renforcé leur vigilance sur ces sujets. Le ministère de l’Intérieur de la Côte d’Ivoire dispose maintenant d’une plateforme en ligne répertoriant les cybercriminels arrêtés par ses services et publie leurs pseudos, emails et numéros de téléphone.
Les États-Unis en guerre contre le «revenge porn»
Le «revenge porn» – littéralement «le porno de la vengeance» – consiste en la publication en ligne d’images intimes d’une personne sans son consentement. Il s’agit généralement pour l’aggresseur de punir un ancien compagnon ou une ancienne compagne après une séparation amoureuse. Aux États-Unis, le phénomène inquiète, jusqu’à atteindre les tribunaux. En octobre 2013, la Californie a voté la toute première loi punissant le «revenge porn». La publication de photos intimes sans le consentement préalable d’une personne et «avec l’intention de causer une détresse émotionnelle» est maintenant passible de 6 mois de prison ou d’une amende de 1000 dollars. Néanmoins, cette loi ne s’applique pas aux autoportraits. Dans l’État de New York, un sénateur souhaite faire voter une loi similaire, comprenant cette fois-ci cette dernière catégorie de clichés.
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