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Charlotte Dipanda : « J’aime faire pleurer les gens »

Un jeune homme qui pleure devant vous au cours d’une de vos prestations à Promote 2011, c’est une autre facette du succès ? 
Je le pense. C’était très inattendu, même si ce n’est pas la première fois que des gens pleurent quand je chante. Mais, c’était vraiment spécial. Ce jeune homme m’a envoyé des vibrations. Ça m’a complètement bouleversée. Ça veut dire que je grandis avec mon public et qu’il me renvoie un message encore plus fort, émotionnellement. 

Tant de succès grise-t-il ? 
Je ne me pose pas la question, mais, chaque fin de journée, j’essaye de faire une introspection. Cette démarche me permet de garder les pieds sur terre, parce que ce n’est pas évident. Et je comprends justement pourquoi certains peuvent basculer vers autre chose. Les gens te donnent l’impression que tu es plus que ce que tu es. Pourtant, moi j’aime bien rester lucide et équilibrée. Je sais grâce à qui j’ai pu évoluer, j’ai besoin de ma famille, de mes amis, des gens que j’aime. Voilà qui me permet de garder cet équilibre. Quand vous voyez dans les yeux de quelqu’un que vous êtes extraordinaire, vous pouvez croire que vous l’êtes. Je ne le suis pas du tout. 

« Dube L’am », ce deuxième album, arrive bien plus tôt qu’on ne l’attendait, non ? 
C’est vrai que j’ai beaucoup entendu dire ça. Mais il y en a beaucoup qui se lancent dans un projet d’album et qui ne sont pas du tout inspirés. Moi, à la fin de ma dernière tournée au Cameroun, le « Mboa Tour », je me suis rendu compte que j’avais déjà écrit dix chansons. J’avais partagé des moments très forts avec le public. Ça s’est imposé à moi. Quand j’avais terminé l’enregistrement de « Mispa » (Cano Production, 2008), j’avais pensé que j’attendrais quatre ou cinq ans, le temps, peut-être, de faire un bébé. Le bébé, je ne l’ai pas fait. C’est pour plus tard. Mais, je ne me considère pas comme une artiste qui éprouve le besoin vital d’être forcément sur scène. Là, j’ai eu envie de faire cet album et je me suis laissé aller à ce besoin, je ne me suis pas posé de questions. Bien de mes camarades artistes font un album chaque année. 

Et il a été fait dans des conditions différentes du premier… 
Absolument. Nous avons pris le temps de travailler. Contrairement à « Mispa », pour lequel j’avais mis dix ans à m’installer et à réfléchir à ce que je voulais faire. J’avais des chansons différentes, les unes des autres. Quand j’ai rencontré mon producteur équato-guinéen de l’époque, j’ai choisi douze chansons pour en faire un album. Sur « Dube L’am », j’avais la pression de « Mispa », que le public avait, spontanément, accepté. Cette fois, j’avais deux fois plus de boulot qui m’attendait. On a donc pris six à sept mois pour travailler chaque chanson, lui donner une couleur, lui trouver un univers en gardant cet aspect sobre, dépouillé et pas chargé. 

Dans cette équipe de musiciens et d’amis qui vous a accompagnée, quel rôle jouez-vous ? Celui de la patronne qui dit « je veux que cette chanson soit comme ça» ? 
Absolument. Quand je suis allée à Londres voir Coco Mbassi et Serge Ngando, ils m’ont spontanément proposé des ballades. Je leur ai dit que je voulais quelque chose que moi je n’aurais pas pu composer. Moi, je suis très « saudade », très mélancolique. Finalement, on a choisi la chanson « Mot’a Idika » qui était un peu plus rythmée et qui n’était pas une ballade. Or, les ballades, c’est vraiment ce que je sais faire. Quand je veux écrire une chanson, j’ai envie de pleurer, de faire pleurer les gens, de parler à leur âme. C’est pareil pour Richard Bona, qui, lui aussi, m’a envoyé une ballade. Lokua Kanza aussi m’a envoyé quatre ou cinq ballades somptueuses. On a fait un arrangement différent pour « Kumb’Elolo », celle que j’ai choisie, afin que ça n’aille pas toujours dans la même direction. Un arrangement un peu jazz et reggae. Pour moi, c’était important de prendre un peu de tous ces gens et de le mettre à ma sauce, avec les arrangements de Guy Nsangue, pour un nouvel éclat. 

Craignez-vous de vous enfermer dans les ballades et la mélancolie qu’elles charrient? 
Je l’assume complètement et j’estime qu’il n’y en a pas assez. Si je me considère comme une artiste camerounaise dans l’environnement musical camerounais, nous avons beaucoup d’artistes qui font plutôt des chansons très rythmées. Moi, j’arrive là avec ma nonchalance. Je n’ai pas l’impression de saturer. Je sais ce que je recherche chez mon public. J’ai envie de leur parler à un moment précis de leur vie, de leur quotidien, de ce qu’ils veulent. Je ne veux pas leur parler quand ils ont pris un verre. Je veux leur parler quand ils sont dans un moment d’introspection ou quand ils veulent se relaxer. 

Dans ce nouvel album, il y a plusieurs titres, « Toma Me », « Soma Loba », « Mukusa », ou « Mot’a Idika », d’inspiration assez traditionnelle. Ce n’est pas anodin… 
Je pars toujours du « Mboa Tour », qui m’a amenée à Bamenda, à Buea et dans d’autres villes du pays. J’ai vraiment éprouvé le besoin de montrer mon africanité. J’entends dire ça et là, à travers le monde, que je suis une chanteuse de jazz… C’est noble, mais, ce que je voudrais vendre au monde, c’est que je viens de quelque part et voici ce que l’on y fait aussi. D’où ces quelques titres que vous citez, dont « Toma Me », qui est du ngono, de la musique traditionnelle de chez moi à Ebone. Avec Guy Nsangue, on l’a abordée différemment et en avons fait une chanson moderne. 

A-t-on plus de chance de se faire entendre en puisant dans le patrimoine de chez soi ? Vous observez, sans doute, la carrière de vos amis Blick Bassy et Kareyce Fotso… 
Oui, mais je pense qu’il est important d’avoir une identité. Dans mon premier album, « Mispa », je suis jeune, j’aime le RnB, la pop… J’avais envie de me faire plaisir dans des chansons comme « Encore une fois », comme « Elle », en essayant d’y mettre un zeste d’Afrique dans la mélodie, dans les arrangements. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais, j’ai vraiment eu envie de parler de la culture de chez moi. D’où les chansons comme « Mukusa », du makossa des années 60 que j’avais commencé à travailler avec Toto Guillaume. 

Et tout « Dube L’am » est chanté en langues nationales…
 
Ce n’est pas le fait du hasard. Ça me fait plaisir que les gens, au Cameroun, reprennent mes chansons en français. Mais je ne calcule pas. J’ai encore essayé de faire un texte en français, mais, rythmiquement, ça ne collait pas. Peut-être dans le prochain. Mais je ne me pose pas de questions. Quand j’arrive à Bamenda et que les gens y chantent « Longue », alors qu’ils ne comprennent pas les paroles, c’est bien la preuve que ce n’est pas la langue qui lie les gens à un titre. 

Le socle de la musique que vous proposez est finalement fait de quoi ?
 
Je dirais que je suis proche de la terre. C’est la mélodie qui est le plus important. Ce n’est qu’après que je voudrais qu’elle sonne makossa ou jazz. Je suis très attachée à la mélodie et c’est pourquoi j’ai du mal à définir ma musique. Quand une inspiration me vient, je ne sais pas si elle deviendra une ballade capverdienne. C’est la mélodie qui m’interpelle et c’est elle le socle. 

Y mettez-vous des ingrédients pour « mondialiser » ce que vous faites ? 
Je ne m’inscris pas beaucoup dans cette démarche parce que après, il faut être capable de faire la part des choses. C’est bien beau de faire des mélanges pour faire plaisir à un public japonais ou australien. Ce que je suis prête à faire, c’est un album qui me ressemble et que j’assume. Ensuite, ponctuellement, je peux travailler une des chansons pour un public bien précis. Je ne peux pas faire l’inverse. Quand vous faites un album, vous donnez ce qui vous parle, ce qui vous touche, ce que vous avez à l’intérieur. Mais je suis convaincue que si l’on me propose des choses jazz ou rock, personnellement, ça ne me parlera pas. Même s’il y a un public pour ça. Peut-être aussi que pour un événement, je peux refaire une de mes chansons. Je suis ouverte au monde mais avec des limites quand même. 

Qui est ce nouveau label qui a produit « Dube L’am » ?
 
Fait Main Production est un label qui produit des artistes sur Paris. Il travaille avec moi sur cet album et justement, j’ai accepté cette collaboration pour m’ouvrir davantage. Avec « Mispa », j’étais labelisée équato-guinéenne. Fait Main a un bon réseau en Europe. 

Fait Main promeut quel genre de musique ? 
Les labels sont plus ouverts aujourd’hui. Soit ils ont un coup de cœur, soit ils ne l’ont pas. Mais, c’est vrai que les artistes de chez Fait Main sont aussi dans l’acoustique, dans les chansons d’écoute. Je crois que c’est ce qui les a intéressés chez moi. En réalité, nous sommes dans une sorte de coproduction. J’ai voulu, contrairement à « Mispa », contrôler ou, en tout cas, gérer ma carrière. J’ai voulu avoir mon mot à dire dans la réalisation, les arrangements ou la promotion de cet album. Nous avons un contrat de deux ans pendant lesquels Fait Main a des devoirs vis-à-vis de « Dube L’am », la promotion, les concerts en France et en Europe. 

Est-ce-à-dire que quelques conditions sont réunies pour promouvoir une carrière internationale ? 
Absolument. Sinon, quel en serait l’intérêt ? L’enjeu était de trouver une maison qui me permettrait d’aller plus loin que « Mispa ». C’est pour cela que j’ai voulu produire « Dube L’am ». Moi, j’ai une vision et une stratégie pour cet album en particulier. Ce qui n’était pas le cas pour « Mispa », pour lequel j’attendais que les choses se fassent. On a des projets sur plusieurs pays d’Afrique : Gabon, Sénégal, Côte d’ivoire… Puis, Fait Main prendra le relais pour l’Europe et les Etats-Unis. Sur « Mispa », j’attendais que le téléphone sonne. Je me sens plus concernée plus impliquée et dans deux ans, je ferai un bilan. 

Vous ne voulez plus rentrer chez une major comme vous le souhaitiez il y a trois ans ? 
Personnellement, je crois qu’il y a des labels indépendants qui travaillent aussi bien que des majors. Voilà dix ans maintenant que je chante et je ne me considère pas comme une débutante à laquelle on viendra dire « mets une jupe courte », « porte des cheveux blonds » pour plaire à tel ou à tel. J’ai déjà une identité et quel que soit le label avec lequel je travaillerai, il faudrait qu’il prenne en considération les aspirations de l’artiste, ce qui n’est pas toujours évident avec les majors. Pour les majors, vous n’êtes qu’un produit dont ils font ce qu’ils veulent. Ils ont investi des sous et il faut qu’il les récupère. 

C’est dire que vous ne voyez plus tout à fait les majors de la même manière ? 
L’industrie du disque se porte si mal aujourd’hui que beaucoup d’artistes préfèrent se tourner vers les labels indépendants. Ils sont encore plus frais, plus disponibles. Vous pouvez encore discuter avec eux sur comment faire les choses. Ce qui n’est pas tout à fait le cas avec les majors. Hier, mon rêve était de signer chez une major. Je vois la question différemment aujourd’hui. D’ailleurs, j’ai autour de moi des artistes qui sont signés en major et je ne suis pas sûre qu’ils s’en sortent mieux que moi en réalité. Lokua Kanza m’a fait comprendre qu’il valait mieux coproduire mon album parce que c’est cela l’avenir de la musique. Ce qu’on oublie, c’est que quand on est chez les majors, on cède beaucoup de choses, l’éditeur perçoit 50% de vos droits. Vous avez tout cédé pour être sur toutes les scènes du monde et un jour, vous vous retrouvez sans rien. Les majors, c’est des sortes de maisons fermées. Soit tu es avec eux, soit tu n‘es pas avec eux. Et si tu n’es pas avec eux, les portes te sont fermées. J’ai vraiment l’impression que c’est fermé. Surtout en France. Pourtant, quand je vais en Allemagne ou en Belgique, c’est plus ouvert. Ils sont plus curieux. Quand on ne connait pas un artiste, on va quand même le voir parce qu’on en a entendu parler. 

Vous comprenez donc pourquoi une Coco Mbassi s’installe à Londres ou une Angélique Kidjo, aux Etats-Unis, il y a plus longtemps encore ? 
Oui, parce que les Anglo-Saxons fonctionnent davantage au feeling alors que les francophones fonctionnent beaucoup plus au piston. Là-bas, on est présenté par untel et du coup, c’est bon. On n’est pas dans le coup de foudre. L’Anglo-Saxon passe dans la rue, il vous écoute, il s’arrête, ne veut pas savoir qui vous êtes ni où vous êtes né et veut travailler avec vous. 

Se diriger directement vers le Cameroun juste après la sortie de « Dube L’am » signifie-t-il que notre pays est votre premier public et votre premier marché ? 
J’ai un public camerounais que je ne négligerai jamais. D’ailleurs, j’en parlais avec mon producteur de Fait Main qui me disait avoir regardé sur le net et était impressionné par l’accueil qui avait été fait à « Mispa » au Cameroun. C’était extraordinaire. C’est là qu’il voit l’intérêt de travailler avec moi. Il pense que si chez moi, j’ai cette aura, il y a de la matière pour me vendre à l’extérieur. Du coup, je ne suis pas un produit fabriqué ou artificiel. C’est un produit qui a une base. Il y a des artistes camerounais qui rêveraient de remplir les salles au Cameroun, qui les remplissent peut-être à l’étranger. Mais une fois ici, ils ont du mal à trouver leur place. Moi, j’ai ça et je dois en profiter au maximum. Quand « Mispa » est sorti, j’ai tout de suite eu envie de venir le présenter ici avant de le faire en France. Et j’avais eu raison. 

Vous préoccupez-vous de la distribution de vos produits dans un contexte où les pirates profitent surtout des manquements des circuits officiels ? 
On est bien d’accord. Le message que je veux faire passer aux gens qui apprécient ma musique, c’est d’acheter le cd original. J’ai pu obtenir que deux supports soient réalisés. Celui qui sort en France coûte 10 000 francs Cfa et un second qui coûte 3500 francs Cfa et qui s’adresse à ceux qui n’ont pas le budget du Parisien. C’est ma manière de lutter contre la piraterie mais ils n’auront pas le cd de Charlotte Dipanda à 500 francs Cfa parce qu’il y a des charges et des coûts. J’ai fait tout ce que j’ai pu. Je me souviens qu’à l’époque de « Mispa », il y avait à la fin des concerts, des jeunes en larmes parce qu’ils avaient 5 000 francs pour un cd qui en coûtait 10 000. J’ai eu mal au cœur que des gens aiment ma musique et ne puissent pas l’avoir. D’où ce premier pas. Je ne dis pas que ça va résoudre le problème de la piraterie, mais je veux croire que ceux qui aiment feront l’effort de chercher le cd original. 

A-t-on raison de considérer que l’amour est votre thématique principale ? 
Oui. L’amour dans toutes ses dimensions. Ce n’est pas seulement l’amour entre un homme et une femme. Mais, c’est la tolérance, la relation à Dieu. Et je pense que lorsqu’on s’aime, lorsqu’on est tolérants les uns vis-à-vis des autres, on règle plus facilement les problèmes. 

source: camerounlink.net

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