
Il électrise les foules et enchaîne les succès depuis plus de cinquante ans. Chanteur et guitariste camerounais, Talla André Marie est une légende de l’afro-funk.
Le déclic
Le multi-instrumentiste Talla André Marie, qui combine soul, jazz et rhythm’n’blues avec des sonorités traditionnelles africaines, a démontré au fil des années qu’il est une figure emblématique. L’aventure commence pour ce natif de Bandjoun (ouest du Cameroun) au milieu des années 1960. Il a été recueilli par son oncle et sa grand-mère à la mort de ses parents, mais ils pensent que le déclic s’est produit plus tôt, à l’écoute de l’harmonica à l’église.
André-Marie Tala n’avait que 4 ans. « De ce jour-là, affirment-ils, tout ustensile de cuisine se transformait entre ses mains en instrument de musique. » L’enfant, aveugle à la suite d’un décollement de la rétine, s’est réfugié dans la musique, d’abord avec une guitare en bambou et fibres de nylon qu’il a faite lui-même, puis avec une vraie, offerte par son oncle. Un enfant qui ne connaît pas le solfège, mais qui reprend sans relâche les airs d’Otis Redding, des Rolling Stones, de Wilson Pickett, de Fela Kuti (qu’il rencontrera pendant longtemps à Paris), de Johnny Hallyday, de Claude François (qui sera plus tard à l’origine de son installation définitive dans l’Hexagone), du Docteur Nico (qui reprendra ensuite le célèbre succès de l’adolescent, Sikati)…
André-Marie Tala crée son premier groupe, les Black Tigers, au milieu des années 1960. Il lui faut deux ans pour se faire un répertoire solide, il signe son premier contrat professionnel dans un cabaret à Bafoussam, près de Bandjoun. Il déclare : « En interprétant ces artistes étrangers, j’ai toujours été un chanteur de variété dans l’âme ». Il garde en mémoire ses premières œuvres : « J’ai faim », « Les Peines du travail », « Je vais à Yaoundé ». Ce dernier titre, coécrit avec un prêtre canadien, est une véritable alarme contre l’exode rural, mais également une ode à la capitale camerounaise.
Il est fier de rappeler que le président François Mitterrand l’a mentionné lors d’une visite officielle au Cameroun, en juin 1983, et que des extraits de cette chanson sont présents dans les livres de cinquième en France. Son premier single, « Po Tak Si Nan », est enregistré par Manu Dibango et vendu à plus de 80 000 exemplaires, sorti en 1972.
Plagié par James Brown en 1974
Il acquiert sa notoriété internationale deux ans plus tard, lors de la sortie de « Hot Koki » chez Decca. Un de ces airs immobiles qui vous accompagne toujours. En mai 1974, lors d’une tournée au Cameroun, James Brown, conquis, s’engage à promouvoir le Camerounais aux États-Unis. Le pape de la soul emporte l’exemplaire que lui remet en main propre Tala, à l’hôtel Le Cocotier (l’actuel Le Méridien).
Quatre mois après, Hustle est publié sous le nom de James Brown. Accords identiques, mélodie identique, paroles adaptées de la langue maternelle de Tala. L’éditeur français de Tala, Renaldo Cerri, fait appel à la justice aux États-Unis. Le procès s’étend sur quatre ans. Tala obtient la victoire : 15 % des bénéfices du titre lui sont reversés. « Ce n’était pas grand-chose – il a fallu payer les avocats, mais la victoire morale n’a pas de prix », défend-il.
Tala affirme avoir ressenti à la fois un choc et un bonheur face à ce plagiat : d’une part, l’indélicatesse d’un artiste se présentant comme le défenseur des communautés noires, d’autre part, l’aubaine d’être plagié par un génie au sommet de son art. André-Marie Tala avoue avoir mûrement envisagé une nouvelle version du titre, cette fois sous la signature de Tala-Brown. Le projet a avorté ce qu’il regrette fortement, Brown ayant tiré sa révérence peu avant le début des pourparlers.
Ses inspirations
Souvent inspirés du quotidien, ils séduisent la majorité, en exaspèrent quelques-uns, qui les jugent trop moralisateurs. Lui se pose en observateur des maux de la société et en prescripteur de solutions, s’appuyant souvent sur des proverbes. Chaque chanson véhicule une philosophie, vous invite à vous taire pour l’écouter : a-t-on le droit de s’apitoyer sur son sort alors qu’il y a toujours plus malheureux que soi (Po Tak Si Nan) ? Un objectif aussi : renforcer une unité nationale malmenée au début des années 1990, grâce à un rythme fédérateur (Ben Skin).
Selon André-Marie Tala, il a la chance d’être aveugle : il peut se focaliser sur l’essentiel, à l’abri des milliers de scènes parasites qui polluent l’esprit de ceux qui voient. Tala est également un adepte d’un riche, châtié, et peu accessible aux non-initiés, ghomálá (langue bandjoun), dont il utilise avec talent les calembours et l’absurdité, à la manière d’un Raymond Devos. Il dit se l’être réapproprié, « atterré de voir les traditions et les langues africaines disparaître faute de locuteurs ».
André Marie Talla est bien plus qu’un chanteur et un guitariste, il est une légende !
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