Venu en France pour la promotion de son nouvel album, Entre Nord et Sud, Corneille reçoit dans un petit coin de sa maison de disque parisienne. L’ambiance se veut décontractée : cet homme de 36 ans a opté pour une veste en jean, un pantalon troué, des chaussures sans chaussettes et un chapeau rond. Il semble d’ailleurs ne pas trop savoir que faire de ce dernier accessoire, manipulé sans cesse. Malgré un million d’exemplaires vendus pour Parce qu’on vient de loin, son premier album, sorti en France en 2003, les comportements de star sûre d’elle lui semblent totalement étrangers. Plus que jamais, il paraît en proie au doute et ne cherche pas à cacher une sensibilité évidente.
Depuis ses premiers succès, beaucoup de choses ont changé dans la vie de Cornelius Nuyngura, son nom à l’état civil. Il a rencontré sa femme, la chanteuse et comédienne canadienne d’origine portugaise Sofia de Medeiros. Il vit avec elle à Montréal, et elle est devenue son coauteur. Mais surtout, Corneille a découvert l’échec avec le flop de deux de ses disques : The Birth of Cornelius, un album de rupture, entièrement en anglais, sorti en 2007, mais aussi Sans titre, sorti en 2009, dans lequel il dévoilait des blessures intimes – notamment un inceste subi de la part de sa tante. Ce disque n’a pas marqué, comme il l’espérait, son grand retour sur la scène française. Et sans fausse pudeur, Corneille avoue qu’il l’a "très mal vécu".
Identité éclatée entre Afrique, Europe et Amérique
Bien que son précédent opus, Les Inséparables, sorti en 2011, ait connu un succès relatif (il a été disque d’or), le chanteur joue gros avec Entre Nord et Sud, dont le titre évoque son identité éclatée entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Mais les influences africaines sont enfouies sous une épaisse couche de R&B afro-américain, teintée d’électro. "L’influence africaine est très présente même si elle est subtile, assure le chanteur. Il y a des riffs de rumba congolaise, et mon rythme de chant est directement inspiré de ce style musical que l’on écoutait lorsque j’étais gamin au Rwanda." Il faut être attentif pour comprendre ses textes, chantés avec cette voix haute qui le caractérise. Ces derniers sont parfois obscurs et souvent d’une candeur frisant la naïveté. "On peut dire que je suis rêveur. Mais mes textes ne sont pas naïfs, conteste l’artiste. C’est ma vie, c’est mon vécu. Quand on a traversé des périodes difficiles, on peut se laisser submerger par la rancœur et en périr. Ou s’accrocher à l’optimisme, pour continuer."
"Ego", un duo avec le rappeur Youssoupha, est de loin le titre le plus réussi du disque et constitue, en même temps, l’une des clés pour comprendre l’évolution de l’artiste ces dernières années. "L’ego, c’est cette armure que l’on porte, c’est ce personnage que l’on se fabrique, explique-t-il. Il m’a servi à tenir, à un moment donné. Mais il faut le reconnaître, le voir, afin de s’en débarrasser." Corneille a décidé d’affronter ses démons.
Son histoire, tragique, et abondamment (mais partiellement) rapportée par les médias, l’a objectivement servi en début de carrière. "C’était devenu une accroche médiatique, analyse-t-il aujourd’hui, et je n’étais pas équipé psychologiquement. Je pense que mon histoire m’échappait. Je n’avais pas encore fait face à la douleur."
Le massacre de sa famille, sous ses yeux
Né d’un père tutsi et d’une mère hutue, il a passé son enfance en Allemagne, puis son adolescence au Rwanda. Ingénieurs, ses parents ne sont pas les plus à plaindre sous le régime hutu de Juvénal Habyarimana. C’est d’ailleurs grâce à la télévision d’État rwandaise qu’il fait ses grands débuts en remportant, à l’âge de 16 ans, le prix Découvertes 1993 avec son premier groupe.
En 1994, le génocide commence, et neuf membres de sa famille sont tués sous ses yeux, dans sa maison. Le massacre a-t-il été commis par les forces génocidaires proches du régime ? Ou était-ce une exaction d’hommes du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion tutsie qui tentait de prendre le pouvoir et de mettre fin au génocide ? Corneille ne "sait pas" et "ne veut même pas savoir". "C’était un génocide contre les Tutsis, ça, c’est indéniable. Mais pendant cette période, tout n’était pas aussi clair que les gens le pensent, surtout pour un garçon de 17 ans. Il y a eu, par exemple, des exactions qui n’avaient parfois rien à voir avec la guerre et le génocide." Livré à lui-même, il fuit l’avancée du FPR, comme des centaines de milliers de Rwandais, pour se réfugier au Zaïre (la RDC d’aujourd’hui) avant de s’envoler vers l’Allemagne, où il est recueilli par des amis de ses parents.
Depuis, il n’a plus mis les pieds au Rwanda. "Je n’étais pas prêt à y retourner, admet-il. J’ai associé beaucoup trop de choses négatives à ce pays, parfois de façon irrationnelle. J’étais en colère contre lui." Sa chanson "I’ll Never Call You Home Again" ("Je ne t’appellerai plus jamais chez moi"), de l’album The Birth of Cornelius, disait sans fard : "Last time I saw you / You looked like Apocalypse / Hell and then Genesis combined / Last time I saw you / You were stripping me of anything and anyone that was mine" ("La dernière fois que je t’ai vu / Tu ressemblais à l’apocalypse / L’enfer et la genèse combinés / La dernière fois que je t’ai vu / Tu me dépouillais de toutes les choses et de tous ceux qui m’appartenaient").
Mais aujourd’hui, Corneille dit "commencer à se réconcilier" avec le pays des Mille Collines et ressent de plus en plus le besoin d’y retourner. Dans "Les Sommets de nos vies", single extrait de son nouvel album, où il énumère les moments forts de son existence, il évoque – au futur – son "retour à Kigali".
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