La rencontre des virtuoses

Les nouvelles qui parviennent de la Rca sont à l’image du monde tel qu’il est manipulé par les logiques des prédateurs : rendre invivable toute cohabitation et réduire à néant les efforts des peuples pour mieux vivre-ensemble. Les anti-balakas armés par on sait trop qui continuent de sévir comme si une rage indescriptible avait transformé en meurtriers les pacifiques habitants d’hier. Pendant ce temps, les pays d’Afrique se réunissent à Bruxelles, pour réévaluer les modes opératoires des accords de coopération, qui ne les libèrent toujours pas de la dette ….Comment peut-on accepter de s’asseoir à une table déjà souillée par le sang des innocents ? La politique est machiavélique. Le pouvoir justifie tout et absolument tout. Mais le monde n’est pas unique. Et face à l’absurde des logiques prédatrices, dans le marasme crée par les incertitudes du monde, des événements ont lieu, des actions initiées, portées par des acteurs passionnés. Ils veulent croire à l’excellence et font confiance à l’humanité des hommes d’abord en tournant le dos à leur bestialité. Ils font la part belle au « beau » et aux talents.
Bien loin du désastre centrafricain, sans rien édulcoré de son scandale et parfaitement conscients des enjeux, il y a eu cette semaine, d’un vendredi à l’autre, d’une capitale à l’autre, deux concerts qui ont offert au Cameroun, un bouquet de notes, étincelant de rythmes. L’évènement s’était donné comme nom de code : la Rencontre des virtuoses. Reposant sur un tryptique esthétique simple : une découverte du cru, un orchestre du terroir et prometteur et deux artistes d’ailleurs camerounais d’ici, confirmés et excellents dans leur art, dont le swingue tutoie et bouscule les musiques du monde. C’est ainsi que les vendredi 29 mars à Yaoundé et 4 Avril à Douala, Universal production, met en scène des virtuoses.
Virtuose : le qualificatif est des promoteurs : pour eux, il faut désormais mettre ensemble des professionnels aguerris à côté des jeunes talentueux. Ils ont définitivement tourné le dos aux approximations où tout et tousse mélangent. Une bouillabaisse qui a fait croire qu’il n’y avait plus de musique riche au Cameroun !! Face à face, guitare contre voix, voix contre basse, les scènes de Yaoundé et Douala ont donc rassemblé des virtuoses : à la base André Manga. Bassiste discret dont la carrière fulgurante a accompagné des musiciens de renom. Avec un discours musical dépollué enraciné dans un groove qui s’est enrichi de l’histoire des voyages de l’Afrique et de ses rencontres avec d’autres civilisations. André Manga donne à entendre un son particulier. Basse piccolo, slams avec le pouce et philosophie du partage et éclectisme .Lui fait écho Jay Lou Ava! Guitariste réputé, lumineux qui n’hésite plus à faire du dialogue des cultures son crédo. A la base d’une association qui permet aux afro-américains de voir de quoi leur ADN est faite et comment elle a évolué… Cherchant leurs frères et sœurs dans nos racines. Dans cette démarche d’établir des passerelles Jay Lou a mis le bikutsi en demeure d’avancer ou de mourir. Il joue donc son jazz et révolutionne les arpèges pour hisser la musique camerounaise au sommet des harmoniques. Ajouté à ce mélange un groupe Macase transformé, résolument dans son temps et cependant profondément à l’aise dans «ses sans confiance camerounaise». Puis la voix d’Erta qui vient donner à ce cocktail de sons et de rythmes, la touche très conquérante des femmes bantous. Les musiques du Cameroun furent donc au rendez-vous ces jours-là, laissant entendre les variations sur plusieurs registres des fusions esthétiques qui fondent l’Afrique artistique d’aujourd’hui.
Cependant plusieurs questions se posent quant à la politique de promotion culturelle des grandes entreprise qui n’hésitent pas à dépenser des millions pour des artistes qui leur font vendre des milliers d’unité pour les téléphones mobiles en refusant d’investir dans l’avenir . Très peu portées au mécénat, la plupart des grands sponsors du Cameroun, développent des politiques à courte vue pour ne pas dire suicidaires à long terme. Loin de booster la créativité, l’imagination et le talent du Cameroun, elles adossent leur promotion sur des noms déjà établis, sans parier leur label sur le futur. Mais évaluent-elles que l’avenir commence maintenant? Et qu’investir dans les innovations constitue un levier pour la pérennisation de leur marque? Car après avoir fait du profit et encore du profit, elles peuvent se permettre de faire de la promotion, de renforcer le substrat culturel de leurs consommateurs d’aujourd’hui, qui vont éduquer ceux du futur …. Bref elles peuvent s’autoriser un devoir moral au nom de la responsabilité sociale d’entreprise (la fameuse Rse) en étant des citoyens de l’art musical ou tout autre art.
La Rencontre des Virtuoses est un concept culturel artistique et éthique dont l’enjeu est le développement d’une esthétique contemporaine qui mise sur l’échange de ceux et celles d’ici et d’ailleurs. En proposant aux artistes de la diaspora un temps de partage les impliquant dans l’encadrement des plus jeunes, d’échanges, de savoir-faire, savoir- être et savoir-dire. C’est le rendez-vous du donner et du recevoir.
La politique culturelle au Cameroun pose les problèmes inhérents à toute soucié dite en voie de développement. La culture pourtant notamment par l’appropriation de ses items par tous est un puissant facteur d’identification, source fédérative d’’intelligence, formidable creuset d’unification pour bâtir le contrat social…L’art musical à l’instar des autres disciplines artistiques est un des leviers sur lesquels on peut s’appuyer pour inciter au travail, en sublimant l’imaginaire, la conscience de soi et de ses talents. En choisissant de rassembler des talents – virtuoses-Universal Production organisateur de ces Rencontres des virtuoses apporte sa pierre à l’édifice de la construction d’un label Cameroun : label d’excellence, d’imagination et de créativité, malgré le manque cruel de soutien et des moyens.

Par Suzanne Kala-Lobè