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« Pourriez-vous juste un moment oublier le pouvoir et penser au peuple? », Wolé Soyinka !

Dans le sillage de la tribune commune des intellectuels africains sur la pandémie du coronavirus, tribune dans laquelle ils ont appelé les chefs d’Etats africains à gouverner avec compassion et à voir cette crise comme une opportunité pour un changement radical de direction, le prix Nobel de la littérature, le Nigérian Wole Soyinka, dans un entretien accordé à RFI, revient à la charge et tacle violemment les dirigeants africains.
Le prix Nobel de la littérature, le Nigérian Wole Soyinka, n’est pas en phase avec le mode de gouvernance du continent. Après avoir participé à la rédaction d’une tribune des intellectuels du continent noir, il confie, à la chaîne internationale RFI, les circonstances qui ont conduit à la rédaction de cette tribune et à profité pour tacler à nouveau les dirigeants africains. Dans un appel poignant, il les invite à oublier le pouvoir et à penser au peuple. Pour le prix Nobel, après 60 ans d’indépendance, il est maintenant temps pour les dirigeants africains de changer de paradigme et de donner la chance au continent d’émerger. « Pourriez-vous juste un moment oublier le pouvoir et penser au peuple ? Cesser de penser aux prochaines élections et réfléchir plutôt à ce qui est vraiment essentiel pour que l’humanité, sur notre continent africain, soit un pilier de notre conception globale du monde ?« , a-t-il lancé à tous les chefs d’Etat africains.

Cet appel de cet intellectuel est certainement suscité par l’actualité politique sur le continent, où presque dans tous les pays, on observe le tripatouillage de la constitution pour avoir un nouveau mandat, la vassalisation de toutes les institutions, l’envoi en exil forcé d’opposants politiques ou leur condamnation à des peines infamantes, l’organisation d’élections exclusives ou non transparentes… Cet appel patriotique du prix Nobel Wole Soyinka fera sans doute écho dans la conscience des dirigeants africains, qui, une fois au pouvoir, ne pensent qu’à s’y éterniser, qu’à développer le continent. Pour lui, la crise liée à la pandémie doit être perçue par eux comme un appel à un changement de direction dans la gouvernance.

Extrait de la tribune des intellectuels africains
Covid-19 est le nom scientifique du virus responsable d’une maladie respiratoire très contagieuse pouvant devenir mortelle. Épidémie, puis reclassée pandémie par l’OMS, le 11 mars 2020, ses effets sont dévastateurs : il sème la mort, plonge les économies les plus puissantes dans la récession, et constitue une menace sans précédent pour l’existence des sociétés humaines. Selon certains experts, ce virus serait annonciateur des plus funestes jours à venir pour le continent africain et ses habitants.

L’Afrique n’est pas le foyer d’origine de cette pandémie, pourtant elle fait face à ses durs effets, par les contagions humaines en nombre croissant et la contraction brutale d’une partie significative des activités sociales et économiques essentielles. Le continent est donc sommé d’apporter une réponse indispensable, puissante et durable à une menace réelle qu’il ne faudrait ni exagérer ni minorer, mais Il s’agit de battre en brèche les pronostics malthusiens qui prennent prétexte de cette pandémie, pour donner libre cours à des spéculations à peine voilées, sur une prétendue démographie africaine démesurée, désormais cible des nouveaux civilisateurs. C’est une opportunité historique pour les Africains, de mobiliser leurs intelligences réparties sur tous les continents, de rassembler leurs ressources endogènes, traditionnelles, diasporiques, scientifiques, nouvelles, digitales, leur créativité pour sortir plus forts d’un désastre que certains ont déjà prédit pour eux.

Quelques pistes sont envisageables à cet effet :
À court terme, une véritable union des pays africains sur les plans économique et sanitaire pourrait permettre une mutualisation des réponses aux risques engendrés par la Covid-19 et au-delà. Les initiatives multiples prises pour mobiliser des ressources financières suffisantes, afin d’éviter que s’ajoute une crise économique majeure à la crise sanitaire annoncée sont à saluer. Nous appelons vivement, à la fois à une gestion rigoureuse desdites ressources, et à une coordination sous-régionale et régionale efficientes des actions, afin que lesdites initiatives gagnent en synergie et en complémentarité.
De même, le partage de connaissances, de savoir-faire et de matériels médicaux sera un élément décisif… L’énorme patrimoine culturel et traditionnel d’où est issue la pharmacopée africaine devrait être davantage mobilisée, mutualisé, panafricanisé, en association avec la médecine et les recherches dites modernes, comme l’ont fait avec succès certains pays comme la Chine. La créativité et l’ingéniosité locales devraient être stimulées, et l’offre artisanale valorisée, à l’instar des équipements hydratants hygiéniques nouveaux proposés dans de nombreux pays.
• L’Afrique doit apprendre de ses expériences et des autres régions du monde frappées par la pandémie, elle devrait davantage favoriser la solidarité, dont elle possède les gènes, la sensibilisation massive, notamment en zone rurale, et le dépistage massif des populations. Les exemples provisoires de réussites montrent que ce ne sont pas nécessairement les moyens a priori abondants des pays à PIB très élevés qui produisent les meilleurs résultats sanitaires, à l’instar du Vietnam, donnant 550 000 masques à 5 pays de l’Union européenne ou même de Cuba, exportant son expertise dans la médecine d’urgence vers les pays dits développés
Le coronavirus est révélateur d’une certaine « fin de l’histoire » et de l’existence de modèles alternatifs. Il revient à l’Afrique d’inventer les siens. Notre continent dispose de ressources étendues, d’une population active mobilisable et créative, de professionnels formés pour résister et vaincre la pandémie. Il faudrait pour cela qu’il prenne les bonnes décisions et les ajuste au besoin. L’existence d’une nouvelle conscience reliant le continent à ses diasporas, ses nouveaux réseaux d’intellectuels, de professionnels, de chercheurs, de militants, d’associations, de politiques, d’indépendants, devrait pouvoir apporter des voix neuves et disruptives dans ces débats.

Défis de taille
C’est alors même que la Covid-19 met les économies à l’arrêt, sème la mort et la désolation dans les pays, perturbe le fonctionnement des sociétés, criminalise les formes de sociabilité les plus ancrées, perturbe les calendriers politiques, que paradoxalement, sonne pour l’Afrique l’heure de relever ses défis et de réinventer les modalités de sa présence dans le monde.

Certes, le défi auquel nous sommes confrontés est de taille, car en plus de nos économies à l’arrêt, la pandémie du coronavirus a offert à certaines chancelleries occidentales matière à réactiver un afro-pessimisme que l’on croyait d’un autre âge. Dans les scenarii qui y sont élaborés, le visage de l’Afrique est celui d’un continent vulnérable, où les morts pourraient se compter non pas en milliers mais en millions d’individus. Il nous faut affirmer que ce scénario n’a rien d’une fatalité historique à laquelle le continent ne saurait échapper. Il en dit plus sur ses auteurs que sur la réalité d’un continent africain, dont nul ne saurait préempter l’avenir et l’assombrir par principe. Il est temps de se rappeler que les périodes de basculement du monde ont toujours engendré un renouvellement paradigmatique, culturel et parfois civilisationnel pour ceux qui embrassent les exigences du changement. Il nous faut donc faire face aux défis qui se profilent et engager résolument les combats nécessaires.

Nous en appelons à tous les intellectuels africains, aux chercheurs de toutes les disciplines, aux forces vives de nos pays, à rejoindre le combat contre la pandémie de Covid-19, nous éclairer de leurs réflexions, de leurs talents, nous enrichir des fruits de leurs recherches et tous de leurs propositions constructives. Il nous faut nous fixer un cap optimiste tout en ayant courageusement conscience des lacunes à combler. Une autre Afrique est possible tout comme l’est une autre humanité dans laquelle la compassion, l’empathie, l’équité et la solidarité définiraient les sociétés. Ce qui pouvait ressembler jusqu’ici à une utopie est entré dans l’espace des possibles. L’Histoire nous observe, qui nous condamnera si nous nous laissons aller à conjuguer notre avenir au passé.

Osons ne pas perdre confiance en l’avenir ou en nous-mêmes. Osons lutter ensemble contre la propagation de Covid-19 et osons vaincre ensemble le précariat mondial auquel donne naissance la pandémie éponyme. Oui, l’Afrique vaincra le coronavirus et ne s’effondrera pas.

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