InsidePortrait

Qui est Ashish Thakkar, l’ex-réfugié Rwandais qui vient de lancer « MaraPhone », le premier smartphone 100 % « Made in Africa » ?

À 12 ans, il a quitté le Rwanda où il vivait avec sa famille pour fuir le génocide. Aujourd’hui cet autodidacte de 35 ans issu d’une famille hindoue est à la tête d’un empire panafricain dont le chiffre d’affaires est estimé à un milliard de dollars.

Jeune, beau, riche et intelligent : en apparence, Ashish Thakkar a tout pour plaire aux femmes. Et il le leur rend bien, puisque cet été, au milieu d’un emploi du temps de ministre, le fondateur du groupe Mara a trouvé le moyen de venir assister à un forum de femmes entrepreneures organisé au Cap, en Afrique du Sud – le forum DWEN (pour Dell Women’s Entrepreneur Network) – pour partager avec elles son parcours et ses convictions. Comme celle-ci, par exemple : « Je suis persuadé que les femmes ne veulent pas particulièrement bénéficier de passe-droits. Tout ce qu’elles veulent, c’est être traitées de la même manière que les hommes. Et nous devons tout mettre en œuvre pour que cela soit le cas, parce qu’elles le méritent amplement ! »

Applaudissements dans la salle. Sourires admiratifs. Il faut dire qu’en plus de sa mise élégante, Ashish Thakkar, aujourd’hui à la tête d’un conglomérat panafricain opérant dans de multiples domaines allant de la technologie au BTP en passant par l’agriculture, a une histoire personnelle qui force l’admiration. À première vue, qui pourrait deviner en effet, s’il ne le disait pas d’entrée de jeu comme l’élément clé d’un « story telling » bien rodé, que ce golden boy ougando-britannique a obtenu le statut de réfugié à l’âge de 12 ans et quitté l’école à 15 ans, après avoir connu une vie d’exode avec sa famille, ballottée d’un pays à l’autre, au gré des dictatures et des génocides ?

Rescapé du génocide rwandais, il monte son entreprise à 15 ans

Son histoire commence en 1981, lorsqu’il voit le jour à Leicester, en Angleterre. C’est là que ses parents, issus de la quatrième génération d’Indiens installés en Afrique, avaient trouvé refuge une fois que le dictateur ougandais, Idi Amin Dada, eut décidé, en 1972, d’expulser du pays les 50 000 commerçants indo-pakistanais qui en constituaient le poumon économique. En 1993, la famille d’Ashish décide de revenir sur le continent africain, cette fois au Rwanda. Las, un an plus tard, la situation du pays vire au drame avec le génocide des Tutsis. Le jeune garçon, alors âgé de 12 ans, et sa famille se mettent à l’abri de l’Hôtel des Mille Collines, devenu célèbre grâce au film « Hôtel Rwanda », avant d’être exfiltrés vers le Burundi et de se réinstaller plus tard en Ouganda.

Ashish retourne à l’école, mais plus pour très longtemps : entre-temps, grâce à un ordinateur que ses parents lui avaient offert, le jeune garçon s’est découvert une passion pour le commerce. Il le revend avec une plus-value de 100 dollars, en rachète un nouveau, réitère l’opération, demande à ses parents un prêt de 5 000 dollars, les supplie de le laisser quitter l’école, et se lance à plein-temps dans l’achat et la revente de biens informatiques : disquettes, moniteurs, pièces détachées. Toutes les semaines, le jeune garçon part s’approvisionner à Dubaï en matériel. En chemin, il réalise que les marchands qui, comme lui, font la navette entre l’Afrique et Dubaï pour affaires ont beaucoup de mal à se financer auprès des banques. Et s’il y avait là une opportunité ? Ni une ni deux, Ashish Thakkar décide de se lancer dans le prêt bancaire à haut risque, et pose, en 1996, la première pierre de ce qui deviendra le groupe Mara.

« L’heure est au lion africain »

Vingt ans plus tard, sa petite entreprise a grandi. Basée à Dubaï, elle est aujourd’hui présente dans 27 pays, dont 25 sur le continent africain. Plus comparable à une holding de participations qu’à une multinationale centralisée, le groupe Mara, qui a fait l’objet d’un cas de la prestigieuse Harvard Business School en 2014, ne publie pas de résultats consolidés. Difficile dans ces conditions de se faire une idée exacte de sa taille et de ses revenus, mais selon diverses estimations, dont celles du magazine Forbes, il générerait 11 000 emplois pour un milliard de dollars de chiffre d’affaires. De quoi faire de son fondateur, 35 ans à ce jour, le plus jeune milliardaire d’Afrique, un continent pour lequel cet hindou a une foi de charbonnier.

« Investissez en Afrique !, lançait-il encore en juin 2016 auprès des femmes entrepreneurs réunies en conférence au Cap. Depuis que j’opère sur ce continent, j’ai vu s’y développer une transformation phénoménale. Taux de croissance, espérance de vie, investissements productifs, qualité de la gouvernance, niveau d’infrastructures : dans la majorité des 54 pays africains, les indicateurs sont extrêmement positifs, notamment au Rwanda, au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie, au Ghana, au Nigeria, en Éthiopie, en Zambie, et même, sous certaines réserves, au Mozambique. » Autant de pays où, alliant les actes à la parole, Ashish Thakkar a investi l’argent de son groupe. En ce moment, il mise particulièrement sur les prêts de particulier à particulier – un domaine qui va exploser, selon l’homme d’affaires. « Imaginez, d’ici à 2020, 700 millions de smartphones vont déferler sur le continent pour équiper jusqu’à 85 % de la population. Quand on sait tous les changements que les simples mobiles ont entraînés, cela laisse présager leur immense potentiel », poursuit Ashish Thakkar, convaincu qu’après « le tigre indien et le dragon chinois, l’heure du lion africain [animal que le groupe Mara s’est choisi pour logo, NDLR] est venue. »

Et ne lui parlez pas de terrorisme, de corruption, de dictatures et autres guerres civiles qui minent l’image du continent à l’international. Ou plutôt, parlez-lui en, et cet optimiste forcené contrecarrera poliment mais fermement vos propos. « Tous les pays d’Afrique ne peuvent pas être mis dans le même sac. Si par exemple, un problème survenait en Hongrie, cela vous paraîtrait idiot que les investisseurs se mettent à fuir la France, n’est-ce pas ? Et bien, c’est la même chose pour ce continent. Chaque pays doit être examiné séparément. »

« Pas de cadavre dans le placard »

Selon lui, la meilleure méthode – qu’elle soit obligatoire ou pas – pour s’introduire dans telle ou telle région du continent consiste à s’associer à un acteur local, comme le groupe Mara. « Les entreprises viennent avec leur expertise-métier, et nous leur apportons la connaissance terrain », résume-t-il. C’est d’ailleurs sur ce modèle que s’est construit une bonne partie de l’empire d’Ashih Thakkar, à l’instar d’Atlas Mara, une entreprise de services bancaires qu’il a développée en partenariat avec Bob Diamond, l’ex-patron de la banque Barclays, aussi flamboyant et controversé qu’Ashish Thakkar se veut humble et irréprochable.

De fait, lorsqu’on lui demande quel est son secret pour avoir transcendé son destin d’enfant-réfugié et s’être hissé au sommet du monde des affaires, sa réponse est toute trouvée. « J’ai toujours beaucoup travaillé », indique-t-il. « Je tâche aussi de penser à long terme et de me comporter de façon éthique ». Car la corruption, ce mal qui sévit dans le monde entier et notamment dans bon nombre de pays d’Afrique, « est une voie à double sens, prévient Ashish Thakkar. Il ne peut y avoir de gens qui prennent que s’il y a des gens qui donnent. Aussi, dès que je sens que quelqu’un cherche à tirer sur la corde, je n’hésite pas à en parler, quitte à crier très fort. Je peux me comporter de la sorte parce que je n’ai pas de cadavre dans le placard ».

Une image savamment entretenue

En plus de ses activités lucratives, Ashish Thakkar a créé, en 2009, la fondation Mara. Sa vocation ? Soutenir les jeunes entrepreneurs du continent africain à travers des programmes de financement et une plateforme de mentorat en ligne revendiquant 800 000 inscrits. Depuis 2015, il préside par ailleurs le Conseil pour l’entrepreneuriat au sein de la Fondation des Nations unies (soutenu financièrement par Dell, tout comme la conférence du Cap), et multiplie les prises de parole au sein desquelles il défend tour à tour la cause des femmes, des réfugiés, des entrepreneurs ou encore de l’Afrique. « Le succès ne devrait pas se mesurer à se mesurer à l’argent que l’on amasse, mais plutôt au nombre de vies que l’on touche », proclame-t-il. Affable, souriant, volontiers disponible pour une interview ou un brin de conversation, il semble vouloir tout faire pour garder les pieds sur terre, malgré les 905 000 abonnés à son fil sur Twitter et sa fortune présumée. « Ashish incarne à merveille la génération de ‘nouveaux entrepreneurs’ qui savent donner du sens à ce qu’ils font et gérer habilement l’équation délicate entre profit et responsabilité », affirme Elizabeth Gore, entrepreneure en résidence chez Dell à qui Ashish Thakkar a succédé à la tête du Conseil pour l’entrepreneuriat au sein de la Fondation des Nations Unies.

Mais dans la sphère des affaires africain, tout le monde ne partage pas cet enthousiasme débordant. « Officiellement, oui, Ashish Thakkar est un brillant entrepreneur. Il a pas mal de tchatche, il présente bien, il est très américain dans l’esprit, genre ‘tech entrepreneur’, et il a certainement beaucoup bossé pour en arriver là « , décrypte le directeur d’un fonds de private equity très actif en Afrique. « Mais côté business, je ne suis que moyennement impressionné. Sur les nouvelles activités, y compris la banque, son groupe n’a pas vraiment de stratégie. Il multiplie les effets d’annonce avec peu de réalisations intéressantes à la clé », nuance-t-il.

Après son passage par Le Cap, Ashish Thakkar devait endosser sa casquette onusienne et s’envoler avec toute son équipe du Conseil pour l’entrepreneuriat vers la Suède et la Jordanie. Le but du voyage ? Y rencontrer des réfugiés et tâcher de trouver des remèdes à la crise migratoire. « Il y a 60 millions de réfugiés dans le monde. Ils conservent ce statut, en moyenne, dix-sept ans. C’est long. Le défi est de leur donner des outils pour s’en sortir. Je suis sûr que l’entrepreneuriat peut être une solution. Vous savez, ce n’est pas parce que les gens sont réfugiés qu’ils sont moins débrouillards ou moins intelligents que les autres. Compte tenu de leur expérience, je dirais même que c’est plutôt l’inverse », avance-t-il en guise de conclusion – car trois autres journalistes attendent encore de l’interviewer. S’il en fallait un pour le prouver, ce serait bien lui.

Commentaires

0 commentaires

Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux:

📸 INSTAGRAM: https://instagram.com/culturebeneofficiel
🌐 FACEBOOK: https://www.facebook.com/culturebene
🐤 TWITTER: https://twitter.com/culturebene
📩 EMAIL: culturebene@declikgroup.com
Afficher plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Bouton retour en haut de la page